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aigu les déviations de tous ordres, comme ils sentaient plus lourde la chape de plomb qui s’appesantissait sur la province livrée au capital étranger.

Malheureusement Bourassa se désenchante du parlement de Québec. Désormais l’histoire du maître et de son disciple se résume comme suit : retour à la politique fédérale, bataille contre la marine Laurier ; bataille pour les écoles du Keewatin ; bataille contre la marine Borden ; victoire de 1911 où Laurier succombe. LaVergne donne alors la pleine mesure de son esprit et de son talent oratoire. Il est de toutes les grandes assemblées de Bourassa. Avec le maître, il partagera aussi les déceptions profondes de 1912, la débandade des nationalistes lors de l’affaire du Keewatin et de la marine Borden. Et voilà que s’achève, trop prématurément, la fulgurante carrière de LaVergne. Déjà, et dès le lendemain de la fondation du Devoir, le bloc nationaliste a commencé de s’effriter. Asselin, Fournier ont quitté le journal, très peu de temps après sa fondation. Et l’on sait comme les deux se retourneront contre leur groupe et surtout contre le chef. LaVergne ne déserte pas. On le revoit en 1915 et en 1916, aux côtés de Bourassa, à l’occasion du cinquième et du sixième anniversaires du Devoir. Mais, entre le disciple et le maître, les liens vont peu à peu s’amenuiser pour se rompre définitivement. LaVergne ne suivra pas dans son évolution le Bourassa de 1925, en proie, ainsi que je l’ai démontré, à une terrible crise de scrupule religieux. Dès 1912, les deux hommes ne sont déjà plus des compagnons politiques. Ils ont commis l’erreur de ne se point porter candidats à l’élection de 1911. Leurs protégés ou leurs élus, mal encadrés, dépourvus de chefs de prestige et de poigne, ont presque tous déplorablement flanché. La question des écoles du Keewatin et celle de la marine Borden ont mis à trop dure épreuve leurs principes trop neufs et leur conscience trop molle.

LaVergne entre, du reste, dans la phase de ses revers politiques. En 1912, il est seul à retourner au parlement provincial. Seul aux premières heures de la première Grande Guerre, il sera