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jeune rêveur. Le rédacteur en chef de La Presse lui décerne un premier-Montréal qui a pour titre : « Le jeune fou de Montmagny ». LaVergne revient à la charge en 1908. Cette fois sept jeunes pages viennent déposer, sur la table de la Chambre, une pétition de 1,700,000 signatures, recueillies par l’Association catholique de la Jeunesse canadienne-française. Manifestation impressionnante, mais qui n’ébranle pas les murs de Jéricho. Tristesse de ces batailles où LaVergne aura pour principaux et presque seuls adversaires, ses compatriotes canadiens-français. N’est-ce pas, hélas, un fait topique en notre histoire politique ? Chaque fois que s’est engagé au parlement fédéral un débat de caractère constitutionnel, interprétation à notre désavantage d’un texte de la constitution fédérative ou contestation des droits d’une minorité française ou catholique, ne sont-ce pas trop souvent les nôtres qu’on a vus se charger de l’odieuse besogne ? Et cela va de soi, sous l’œil amusé du conquérant ! À propos de cette loi LaVergne, l’on entendra un Rodolphe Lemieux, lieutenant de Laurier, se moquer lourdement de ce qu’il appellera avec dédain le « postage-stamp patriotism ». En 1908 ou 1909 un incident significatif se produit au Monument National de Montréal. LaVergne, invité de la Société Saint-Jean-Baptiste dont Olivar Asselin est le président, y vient prononcer une conférence sur le bilinguisme officiel. Au début de la réunion, qui voit-on gravir l’estrade ? Le sénateur Raoul Dandurand, francophile style Français de France, officier de la Légion d’honneur. Nullement invité, le sénateur s’en vient prêcher à l’auditoire la prudence ; il vient surtout ridiculiser le projet LaVergne sur les droits du français. Mal lui en prend. L’opinion bougeait dans la province. Le pauvre homme l’avait oublié. Des sifflements, des cris, un tapage assourdissant s’élèvent, forcent l’intrus à disparaître dans la coulisse. Puis, tout aussitôt, des acclamations frénétiques éclatent. C’est le salut à LaVergne qui apparaît. Mais cette popularité alarme, irrite les chefs. Trop longtemps retenue, la foudre s’abat sur la tête du jeune indiscipliné. Laurier prononce contre lui l’excommunication majeure, la mise au ban du parti. La riposte ne se fait pas attendre. L’excommunié livre au public le