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sixième volume 1931-1939

que impérialiste. Séduisant aussi ce Bourassa, et par ses origines familiales, et par sa culture et ses merveilleux dons. En 1903 LaVergne est devenu avocat. En 1904, une élection partielle, au parlement fédéral, a lieu dans Montmagny. On offre la candidature au jeune avocat de vingt-quatre ans. Il accepte et il est élu. La tâche exaltante, stimulante, est venue à lui. Qu’en fera-t-il ? Le jeune politique inaugure sa carrière par un acte de courage et de cran. L’heure venue d’accepter la candidature, les argentiers de la caisse électorale tentent de ligoter le candidat. On l’invite à signer la promesse rituelle : servir invariablement le parti. Carrément LaVergne refuse. Il entend rester libéral, mais un libéral aux mains libres. Décision grave dans la conjoncture de nos mœurs politiques ou parlementaires. L’homme qui s’insurge contre le servilisme partisan devient tout de suite un suspect. Adieu les grandes faveurs des chefs, la montée rapide vers les grasses prébendes, les postes honorifiques. Mais le phénomène est si rare de ces hommes libres qu’ils y prennent très tôt, devant le public encore capable d’admirer, une auréole singulière.

À peine arrivé au Parlement commence pour LaVergne une carrière étincelante, moins par des succès proprement politiques que par des gestes, des attitudes. À Ottawa, il est devenu le chouchou de Laurier. Mais il n’y a pas loin de 1904 à 1905, année de l’érection en provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta. De nouveau la question des droits scolaires des minorités françaises se pose. Laurier paraît d’abord tenir bon, puis il flanche. Bourassa se révolte une fois de plus. LaVergne le suit. À la célèbre assemblée au Monument National de Montréal, le 17 avril 1905, je l’aperçois, sur l’estrade, aux côtés de Bourassa, celui-ci très fier, de toute évidence, de son jeune disciple. Le disciple ne prononce que quelques mots plus ou moins perdus dans la vaste salle. Ce soir-là, le discours du « maître » a électrisé, accaparé l’auditoire. Dès l’année suivante, le jeune député se risque à un acte plus audacieux : il présente une loi qui rendrait le français obligatoire dans les services de l’État ou d’utilité publique : monnaie bilingue, timbre-poste bilingue, billets de chemin de fer bilingues, etc., etc. Le débat s’engage ; l’idéaliste LaVergne ne rallie même pas assez de députés pour exiger un vote. La presse canadienne-française déchaîne un beau tapage. On court sus au