Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
mes mémoires

logie, un professeur de Belles-Lettres, un assistant-professeur de Rhétorique, puis, dans les années suivantes, un professeur de Rhétorique. Mon enseignement, mes responsabilités de directeur spirituel de trop nombreux collégiens me faisaient éprouver jusqu’au scrupule, et parfois jusqu’à l’angoisse, mon impréparation à pareille tâche. Que le simple port de la soutane conférât toute compétence ne faisait point partie de mon credo. Donc je me rongeais les poings. J’attendais une Providence. Elle vint à moi sous les traits de mon ancien ami de collège et de séminaire. C’était en 1906. Il venait à peine d’être promu curé d’une petite paroisse irlandaise dans le comté de Perth, Ontario, à Kinkora. Ses revenus restaient minces. Il sera pourtant celui, j’en suis persuadé, qui se mit en quête d’autres générosités pour m’offrir un séjour d’études en Europe. Charité inappréciable qui aura peut-être décidé de toute ma vie.

Quand je serai de retour au Canada, en 1909, d’autres circonstances viendront nous rattacher l’un à l’autre encore plus intimement. Je me trouverai mêlé à la querelle scolaire franco-ontarienne. En sa péninsule d’Essex, il était devenu l’un des chefs de la résistance. Il s’y était jeté avec l’élan, la fougue d’un grand nerveux et d’un grand convaincu qu’il était, sans calculer les périls. Or il avait pour évêque le tristement célèbre Mgr Michael F. Fallon, Irlandais affligé du tempérament d’un joueur de rugby ou d’un boxeur, tempérament qui s’accommodait comme il se pouvait de l’esprit épiscopal. On l’avait vu, dès sa première retraite à son clergé, retrousser ses manches de soutane pour brandir cet avertissement : « I am the boss ! I am the boss ! » Devise d’évêque assez discutable. Dans la querelle scolaire franco-ontarienne, violent adversaire de l’école française, il s’était mis résolument à la tête des persécuteurs. On le verra rallier à son triste évangile ses collègues de langue anglaise, et par là même, s’unir aux Orangistes, pour pousser le gouvernement de Toronto aux actes les plus blâmables. Le pauvre abbé Émery, combattant de première ligne dans la défense de l’école française, ne peut que s’attirer les pires avanies. L’évêque devient fort surexcité. Ses prêches, ses attitudes provocantes tôt démasquées, ne