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cinquième volume 1926-1931

paraissent maintenant s’y intéresser, rechercher le pourquoi de nos succès et de nos échecs.

Je ne cite point ces lignes pour le plaisir de les transcrire et de me parer de l’éloge, mais pour faire voir, une fois de plus, où en était, à cette époque, dans la masse de nos gens même prétendus instruits, le bagage des connaissances historiques. Je reviens aussi à cette conférence parce qu’elle me rappelle brutalement le souvenir de maux alors vigoureusement dénoncés et qui pourtant, en l’an 1962, n’ont pas fini de nous affliger. M. Firmin Létourneau avait commenté cette page d’histoire dans le Bulletin de la ferme. La revue Les Affaires de Québec, mars 1932, avait reproduit les commentaires de M. Létourneau. Les deux périodiques avaient cité, de ma conférence, cette page affligeante :

Je veux dire le désolant acheminement, depuis 75 à 80 ans, des petits propriétaires agricoles vers le prolétariat… Un peuple en majorité paysan est devenu un peuple en majorité ouvrier… Et voilà que se développe, chez une portion considérable des masses populaires, une sorte de résignation sereine à la domesticité, aux emplois subalternes, au prolétariat perpétuel. Les Canadiens français continuent de s’orienter en masse vers les petits métiers, les occupations de manœuvres et de journaliers ; ils envahissent les villes, en élargissent indéfiniment les faubourgs, sans autre aspiration trop souvent que d’y briguer un emploi de charroyeur de vidanges ou de balayeur municipal. De père en fils on habitera les mêmes taudis, on subira les mêmes servages, sans jamais l’ambition de hausser sa vie, content d’obéir à un maître, surtout si ce maître est un étranger.

Misères de 1931 ! Sont-elles si différentes des misères de 1962 ? Peut-on parler d’une ambition fébrile de notre peuple de sortir enfin de son infériorité économique ? L’affreuse influence de la Conquête anglaise n’est pas finie.