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mes mémoires

trop l’histoire lamentable de notre agriculture et l’histoire aussi de l’incurie gouvernementale dans le Bas-Canada à cette époque. Histoire d’une terre qui se meurt dans la routine et la stérilité, faute d’un soutien financier de la part de l’État et faute d’un enseignement agricole venu à point. Histoire aussi d’un désolant déséquilibre entre la terre colonisable et l’accroissement démographique : des milliers de jeunes gens, fils d’habitants, réduits à l’oisiveté dans un pays dépourvu d’industries à leur portée, incapables même de trouver un pouce de terre arable, à moins de le voler aux grands propriétaires, bien gendarmés dans leurs latifundia incultes, contre ce que l’on appelle les « squatters ». Enfermé dans la paysannerie comme dans un ghetto, après la Conquête, un peuple s’y voyait menacé d’étouffement par manque d’espace et de soleil. Conséquence : nulle autre issue pour cette légion de faméliques ou de jeunes désœuvrés que la fuite dans les « factries » américaines ou l’exil vers les terres de l’Illinois et du Michigan. Hémorragie meurtrière qui a vidé parfois à moitié quelques paroisses du Bas Saint-Laurent, vidant aussi de leur sang les veines les plus riches d’un jeune peuple. Ma conférence ne révélait pas un malheur tout à fait inconnu. Elle réapprenait peut-être à une génération trop ignorante de son histoire, l’une des causes de nos suprêmes misères, de celles qui durent encore. Dans le public l’émotion parut profonde. Mise en brochure par Le Devoir, la conférence connut une large diffusion. M. Héroux écrivait dans Le Devoir (28 décembre 1931) :

L’intérêt qu’a suscité, à Ottawa comme à Montréal, devant un public de techniciens agricoles comme devant un auditoire appartenant pour la quasi-totalité aux professions libérales, la toute récente conférence de M. l’abbé Groulx sur « La déchéance de notre classe moyenne », est un bon signe. Meilleur signe encore peut-être l’efficace curiosité qu’excite dans les milieux les plus divers la publication en brochure de cette étude… Ah ! nous ne savions pas cela ! avouaient l’autre jour des hommes qui ont pourtant fait certaines études ; et nous avons recueilli le même aveu l’an passé, quand le même orateur indiquait les obstacles auxquels s’est si longtemps heurté notre progrès scolaire. C’est que notre histoire, et particulièrement notre histoire économique et sociale, est l’une des choses les moins connues qui soient. Il faut se réjouir que beaucoup, et surtout parmi les jeunes,