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cinquième volume 1926-1931

Ces lignes parues dans Le Devoir me réservaient une surprise, presque une joie : un monsieur me disait avec quel enchantement il m’avait lu. Mon article, me confiait-il, lui avait fait regretter de n’avoir pas été du voyage. Ce monsieur n’était autre que l’un de ceux-là qui, quelques années auparavant, avaient fait l’impossible pour m’amener à quitter l’Université : M. le sénateur Béique. Je ne puis malheureusement citer ici cette lettre. Elle est disparue dans l’un de mes déménagements. Comme quoi d’heureux remords font parfois marcher les hommes à reculons !

Je rentrai donc à Montréal. Que de travaux, que de problèmes allaient m’absorber. Depuis deux ans nous étions entrés dans la période d’une crise sans pareille : la période du fameux chômage. Les assises politiques, économiques, sociales craquaient partout. Il fallait tout repenser. Et tout repenser contre les chefs politiques de la nation, je veux dire les chefs politiques enlisés dans la vieille routine de l’économie libérale, incapables de pensées neuves, organiques et, tous ou presque tous, d’un indifférentisme national qu’on se refuse à décrire. Il y a de la misère en bas, dans ce monde de chômeurs chaque jour croissant, dans une jeunesse encore plus démoralisée que désœuvrée. La misère est aussi navrante en haut.

La déchéance incessante de notre classe moyenne

En histoire, dans mes cours publics, j’aurai à continuer l’étude d’une période difficile, entre toutes, période encore à peine effleurée par nos historiens, celle de l’Union des Canadas. Et c’est à ce moment-là, au cours de mes recherches, je crois bien, que m’apparut, dans une lumière plus crue, l’une des principales causes de l’émigration canadienne-française aux États-Unis, vers le milieu du siècle dernier. Fait social des plus désolants. De mon étude, je détachai un chapitre pour une conférence qu’une œuvre quelconque a dû solliciter et que je prononçai au Cercle universitaire de Montréal, conférence que j’intitulai : « La déchéance incessante de notre classe moyenne ». Triste page qui illustre par