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cinquième volume 1926-1931

de Léonville, un M. Lachapelle, charmant Canadien français qui avait fait ses études à L’Assomption près de Montréal, m’avait offert l’hospitalité chez lui. Chaque soir, après nos randonnées en groupe, j’aboutissais là avec quelques autres confrères du voyage. Nous rentrions souvent à la nuit. Je disais ma messe un peu tard. Mais la cloche amenait toujours quelques poignées de fidèles. Un matin, le premier matin, ma messe dite, le carton habituel n’étant point là pour les prières de la fin, je me risque à les dire en français. Dans la nef une vingtaine de jeunes filles occupent quelques bancs. Au Je vous salue Marie, une réponse m’arrive, dans le meilleur français du monde, avec une prononciation qu’on aurait pu croire empruntée au plus chic couvent de la province de Québec. J’éprouvai, je l’avoue, un choc au cœur. Si loin de la vieille province, entendre ce français et avec cet accent ! Le curé avait une école française dans sa paroisse et, pour institutrice, une petite Canadienne française de la région de Hull.

Rapporterai-je une autre impression moins agréable et qui m’a révélé, dans sa douloureuse acuité, le problème des Noirs aux États-Unis ? Les nègres de la Louisiane sont presque tous de foi catholique ; la langue française les a protégés contre la propagande des pasteurs noirs qui ne savent parler que l’anglais. Mais là-même, en Louisiane et dans les églises acadiennes, quelques faits me vont profondément peiner : la division des fidèles dans les églises acadiennes : les Noirs d’un côté de la nef, les Blancs de l’autre, si fortement agissent les préjugés, même chez ces braves Acadiens, victimes en cela du fanatisme et du dédain anglo-saxons pour les gens de couleur. Un curé, me disait-on encore, pouvait s’accorder une négresse pour servante, à la condition de ne pas la loger la nuit en son presbytère. J’eus, du reste, l’occasion de m’édifier davantage sur ce douloureux problème. En certains villages, à Léonville en particulier, je me risquai à quelques petites promenades dans les rues. Je voulais voir gens et maisons de plus près. Je rencontrai de petits enfants noirs. J’osai m’arrêter pour leur parler, leur donner une petite tape sur la