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pressions de voyage ». Cet article a été reproduit, avec quelques autres de M. Omer Héroux et diverses pièces, dans une brochure. Je retiens pourtant deux lieux ou étapes qui m’ont laissé les plus vifs souvenirs : le Fort de Chartres, à quelque soixante milles de Saint-Louis, Missouri, et cela va de soi, le pays louisianais. « C’est au Fort de Chartres, écrivait M. Héroux, que nous avons été, pour la première fois, frappés en plein cœur. » Il avait raison. Jusque-là nous avions rencontré un premier groupe français à Chicago, groupe agonisant, mais d’émigration plutôt récente, puisqu’il remonte, en somme, à l’exode du milieu du XIXe siècle. Autre serait la surprise au Fort de Chartres, fondation de la première moitié du XVIIIe siècle, à l’époque du Régime français. Nous étions assurés de trouver là des ruines ; trouverions-nous quelques derniers vestiges de vie française ? Il y avait lieu d’en douter. Le train vient de s’engager dans une région qui m’a toujours particulièrement séduit : l’Illinois. Singulière prédilection des historiens pour les lieux où flotte la mélancolie des ruines et des destins manqués. Point nécessaire d’être romantique pour sentir ces choses. La première fois que je lus, dans les Relations des Jésuites, le récit de la découverte du Mississipi par Jolliet et Marquette, je me souviens quelles images fascinantes fit se lever, dans mon esprit, la description de la région illinoise : ces immenses prairies où paissaient d’innombrables troupeaux de chevreuils, de bœufs sauvages, de coqs d’Inde : ces belles terres grasses, écrira Jolliet, où il n’y aurait qu’à mettre la charrue pour en tirer subsistance et profit. Encore, en cette année 1931, c’est bien un peu de ce paysage qui se déroule sous nos yeux : une plaine vaste, opulente. Terre de l’Illinois qui sera, entre Québec, Montréal et la Nouvelle-Orléans, le seul point de l’Empire français où le colon, cultivateur du sol, prendra pied. Terre de l’Illinois qui, dans les dernières années de la Nouvelle-France, deviendra le grenier de la Louisiane et même de tous les postes environnants. Et je ne pense point sans quelque tristesse à ce que serait tôt devenue cette région et quel rôle de soutien elle aurait pu jouer, si Frontenac, moins envoûté par son Cavelier de La Salle, eût permis à un réalisateur tel que Jolliet, d’aller s’y établir dès 1674. À l’heure de la Conquête anglaise, sur l’Illinois, se sont déjà groupés cinq villages. Au Fort de Chartres, nous sommes à proximité de cette région. Une surprise émouvante nous attend. Le Fort n’est plus que ruines, mais