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cinquième volume 1926-1931

ment italien, représentant de langue anglaise, pour s’assurer en revanche un représentant de langue française auprès de la cour romaine. Ne serait-il pas également opportun d’intéresser nos Chevaliers de Colomb de langue française à cette propagande, leur assignant, par exemple, la constitution d’un fonds pour en assumer les frais ? En somme, m’avait recommandé le Père Leduc, faire un siège en règle, quoique avec discrétion, des autorités romaines, en vue d’obtenir d’elles une juste attention à nos suppliques et à nos droits. Aussitôt rentré au Canada, je m’emploierai de mon mieux à satisfaire le cher Père Leduc.

Le Lafayette a bien filé. Un matin, au jour attendu, nous sommes en vue des côtes américaines. Ici se place un incident fort singulier. Je m’en voudrais de ne pas le raconter. Ce jour-là, je n’ai pas assisté à un miracle, mais à quelque chose de bien extraordinaire. À l’aller, au mois de janvier, j’avais fait la rencontre, sur le De Grasse, d’un couple de jeunes mariés, une jeune Canadienne française, infirmière, à l’emploi du gouvernement du Québec, sur la côte du Labrador, et un jeune Français, comptable sur un bateau de la Compagnie Clark, de Clark City. On devine comment les deux jeunes gens s’étaient rencontrés. Le marié emmenait sa jeune épouse en voyage de noces, en France, dans sa famille à lui. Par un heureux hasard, je retrouve le jeune couple sur le Lafayette, s’en revenant au Canada. La jeune femme avoue une hâte extrême de rentrer au pays. De son séjour en France elle rapporte des impressions fortement mêlées d’amertume. Ses beaux-parents ne lui ont pas ménagé leurs airs de supériorité. La jeune femme ne manquait ni d’élégance ni de bonne éducation. On a pourtant trouvé moyen de critiquer son accoutrement, ses chapeaux, et que sais-je ? La petite Canadienne est à bout de nerfs. Un seul désir l’anime, la soulève : respirer l’air du pays, retrouver ses gens. Ce matin, dans la rade de New York, nous sommes tous trois sur le pont du navire, mesurant la distance qui nous sépare du quai d’arrivée. Tout à coup, elle me dit : « — Croyez-vous qu’à New York il nous sera possible de prendre le train du matin ? J’en ai une mortelle envie. Je hoche de la tête. — Je vous paie une grand-messe à saint Joseph si nous arrivons à temps. — Attendez, lui dis-je, que nous en sachions d’abord quelque chose. Nous avisons un officier du bord. — À