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battre, c’était, insidieusement propagée à Rome par les Knights of Columbus et par les évêques irlandais, la notion d’un Canada, pays anglais, destiné à le rester, et en conséquence, le sort prétendu inexorable d’un petit peuple canadien-français, condamné à l’assimilation : assimilation que, dans l’intérêt même de ce petit peuple, l’Église devait se garder d’entraver. Au fait, pouvions-nous reprocher aux congrégations romaines de s’être laissé prendre aux arguties de la propagande irlandaise ? Qu’elles aient pu entretenir de si fausses conceptions sur notre statut juridique et constitutionnel, était-ce uniquement de leur faute ? Le spectacle de notre vie politique à Ottawa les aurait-il si abondamment éclairées ? Nos propres politiciens y avaient-ils défendu si jalousement nos droits les plus sacrés ? Oui, oui. Qu’avions-nous fait pour combattre la propagande hostile et pour renseigner Rome ? Et comme nous avons été lents à saisir la valeur de l’argument historique et constitutionnel ! Peu de temps après mon retour au Canada, en 1931, j’allai rendre visite à mon vieil ami, Mgr L.-A. Paquet, à Québec. Je lui racontai mon entrevue avec Mgr Leccisi ; je lui fis part des confidences du Père Leduc sur l’opinion des milieux romains à notre sujet, et je dis au vénérable prélat : « Ne croyez-vous pas, Monseigneur, qu’il serait plus que temps d’invoquer là-bas notre situation constitutionnelle, dans l’Empire britannique et au Canada ? Rome aura toujours de la répugnance à se mettre les doigts dans la politique intérieure de tout pays quel qu’il soit. » Et Mgr Paquet, esprit pourtant si avisé et fort au courant de la diplomatie romaine, de me répondre : « Je me demande si le temps est venu. »

Nous en étions là. Nous étions si peu convaincus de la réalité de notre émancipation, de notre autonomie, qu’il ne nous venait pas à l’idée d’en faire état. J’ai connu une époque, encore toute proche en 1931, où oser parler ou même rêver d’indépendance pour notre pays, était, pour une large part de l’opinion, même québecoise, faire acte de révolutionnaire. Nous sommes-nous assez vantés, nous, Canadiens français, de notre loyauté à la Couronne britannique ? C’était le couplet obligato en tout discours politique, la précaution oratoire de caractère proprement rituel, avant toute revendication d’ordre politique ou culturel. Nos politiciens avaient si bien fait là-dessus l’éducation du peuple que,