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était devenu l’un des grands personnages politiques de son temps. Ses discours, son œuvre tenaient l’affiche internationale. Un autre personnage m’attirait encore davantage : le grand Pape alors régnant, personnalité forte, puissante, qui dominait aussi son époque, le fondateur, peut-on dire, de l’État du Vatican. Pour un catholique, à plus forte raison pour un prêtre, c’est toujours une joie et un réconfort que d’aller se jeter aux pieds du chef suprême de l’Église. Au surplus, il y avait beau temps que les impressions pessimistes de mon premier séjour à Rome, dans les années 1906-1908, avaient perdu trace chez moi. La Ville unique ne subsistait plus, en mes souvenirs, que sous la forme de l’image grandiose dont l’on ne peut plus se défaire quand une fois on l’a pu voir.

Donc, le 3 mars, je prends le rapide Paris-Rome. Trente-six heures de chemin de fer. Je me hâte, n’ayant plus à disposer que de huit jours environ. Le train file à travers la France par un jour ensoleillé de printemps. Souvent debout, dans le corridor qui longe les compartiments, le spectacle ne me lasse pas de ce pays depuis si longtemps humanisé et soigné en ses moindres pieds de terrain, si ponctué ici et là par un village coquet, un gracieux cours d’eau, des pièces de grain tirées au cordeau, des vignobles opulents, et parfois une vision d’art, une silhouette de château, un monument rappelant quelque date ou personnage historique. Dans le Midi, une seule chose m’attriste : ces longs kilomètres où je cherche en vain, à l’horizon, une seule pointe de clocher d’église. On aurait dit un pays où le christianisme n’aurait pas encore passé. Civilisation non pas mourante, mais malade, qui désapprenait le rôle du spirituel.

Passé la frontière franco-italienne, à Vintimille, je crois, un premier fait nous avertit d’un ordre nouveau dans la péninsule : deux fonctionnaires habillés en militaires montent dans le train, passent en tous les compartiments, avec cette question : « Des plaintes à porter ? » Décidément nous sommes en ce pays à une ère de réformes et de surveillance rigoureuse. Les réformes, j’en aperçois au moins quelques-unes de mes yeux, ce beau soir de soleil couchant, où nous entrons dans la région romaine. Quel spectacle changé dans les alentours de l’éternelle Cité ! En rem-