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avait entonné la Marseillaise. Dans tous les coins de la Sorbonne, grand émoi. On était accouru, étonné, à moitié alarmé, se demandant s’il n’y avait pas émeute, manifestation révolutionnaire. Ainsi m’avaient parlé les étudiants. Il me fallut leur tenir quelques propos. J’ai dû, je présume, leur parler du pays, des courants de pensée, en particulier dans les milieux de jeunesse. Mes souvenirs trop imprécis s’arrêtent là. Nous étions en 1931, l’année du Statut de Westminster. Au sujet de cet événement, je me souviens, par exemple, d’un propos de ces jeunes gens. M. Thomas Chapais, délégué du Canada à Genève, cette année-là, était passé à la Maison des étudiants. Interrogé par ses jeunes auditeurs sur cette orientation constitutionnelle des pays de l’Empire britannique, le loyal sujet M. Chapais avait levé les mains au ciel pour s’écrier bouleversé : « Messieurs, où allons-nous ? » On pense bien que je ne renouvelai point cet émoi. Sans me faire trop d’illusion sur la portée du Statut, j’ai toujours été prêt à saluer avec joie le moindre relâchement du lien impérial. L’indépendance, pour un pays d’âge adulte, m’a toujours paru le premier des biens dans l’ordre politique.

Le grand dîner de M. Philippe Roy

Ce bon M. Roy, ai-je déjà écrit maintes fois, ne savait plus que faire pour m’être agréable. Il s’était entremis auprès de René Bazin, de Georges Goyau et de quelques autres, pour m’obtenir — ou plutôt pour obtenir à l’ensemble de mon œuvre littéraire — un prix de l’Académie : ce à quoi il devait réussir. Il avait aussi commencé des négociations auprès de France-Amérique, auprès du gouvernement de Québec, auprès de l’éditeur Delagrave, pour une impression à Paris de mes cours à la Sorbonne et à l’Institut catholique. Là encore, il devait gagner son point. Ainsi serais-je le premier des conférenciers de l’Institut scientifique franco-canadien dont on publierait les cours en France. Le livre parut quelques mois à peine après mon retour au Canada, sous le titre : Le Français au Canada. M. Roy le distribua généreusement aux plus grands personnages du vieux pays.