Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
mes mémoires

plus facile du monde. Mon père a une dévotion toute spéciale pour ses admirateurs qui vivent au loin. Je lui ferai certainement part de votre désir. » Et comme je glisse à Mlle de La Gorce, l’un des motifs de ma demande : « J’aimerais beaucoup l’interroger sur sa méthode de travail », elle me répond : — « Sa méthode ? Gardez-vous-en bien ; je crois vraiment qu’il n’en a aucune. »

Le 21 février, je reçois du 4, rue Joseph Bara, résidence de M. Pierre de La Gorce, le billet suivant :

Seriez-vous libre le vendredi 27 février. Si oui, vous nous feriez, à ma fille et à moi, plaisir et honneur si vous vouliez bien ce jour-là partager à midi et demi, notre modeste déjeuner de famille.

… Je serais très particulièrement heureux de causer avec vous de cette magnifique et si chrétienne France canadienne que nous aimons tant.

À l’heure et au jour dits, je suis au 4, rue Joseph Bara. On me fait entrer dans un grand appartement de gentilhomme, très éclairé, très aristocratique. Parmi les invités au déjeuner, je rencontre un M. de Laprade, descendant ou parent du poète Victor de Laprade, et le couple Goyau. M. Pierre de La Gorce, octogénaire de 85 ans, je crois, me reçoit avec la simplicité même. Vieillard un peu courbé, mais qui a dû être de belle taille, portant barbe grisonnante, et portant aussi lunettes, comme tout historien qui se respecte. Hélas, encore un regret : je n’ai pas eu le temps de prendre des notes de ce déjeuner. J’ai oublié les sujets abordés en conversation. J’ai tout au plus gardé le souvenir d’une rencontre on ne peut plus cordiale. M. Pierre de La Gorce avait l’affabilité d’un ancêtre, ou, si l’on veut, d’un grand-père. Les spectacles de l’histoire ne l’avaient pas assombri. Ses propres épreuves — magistrat, il avait dû un jour déposer sa toge pour n’avoir pas à se prêter à certaines besognes anticléricales — l’avaient laissé serein. Attitude d’un homme que les vilenies de la vie et du passé peuvent attrister sans trop l’étonner. Attitude de chrétien qui ne se dépouille jamais de pitié devant les misères humaines.