Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
mes mémoires
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

l’histoire en ignorant totalement le fait religieux. Ils ont fait le tableau du 17e siècle et n’y ont aperçu que deux ou trois faits religieux : l’Édit de Nantes, le jansénisme, le quiétisme. Mais l’influence profonde de l’Église sur la vie intellectuelle, morale, de la nation, son œuvre civilisatrice en France, dans les missions, ils ne l’ont pas aperçue.

Méthode proprement dite de M. Goyau : pour la recherche des sources “il faut flairer”. Dans des brochures de rien du tout, en des livres massifs, illisibles souvent, l’on trouve le trait, l’anecdote pittoresque qui projette l’éclair sur le passé, la vie d’un homme. Ses ouvrages sur le protestantisme allemand révèlent sa méthode. Les fruits de ses recherches sont recueillis sur des fiches, c’est-à-dire des bouts de papier de toutes les dimensions, qu’il numérote et dont les numéros sont ensuite reportés sur son plan.

En somme, il tient l’histoire pour une science fort conjecturale. Il s’amuse des erreurs de détail — erreurs réelles — qu’un jeune séminariste de 19 ans du Grand Séminaire d’Orléans prend à tâche de relever dans sa grande Histoire religieuse [de la France]. Il se demande quelle histoire, dans cinquante ans — avec le développement formidable du journalisme — il sera possible d’écrire. Il fait des rêves : il voudrait avoir trente ans pour établir la courbe de la vie religieuse en France, du 17e siècle à nos jours. »

Pendant trois quarts d’heure au moins, j’écoute parler ce petit homme qui me reçoit avec une bienveillance exquise. Rien de la politesse commandée. Le don de soi dans la plus parfaite charité. Il a fait brèche de ses habitudes, à son programme journalier, pour me recevoir. M. Goyau s’enferme, chaque jour, en son cabinet de travail jusqu’à une heure de l’après-midi. Personne, sauf madame Goyau, ne peut, en ce temps-là, entrer chez lui. Son téléphone est coupé. L’après-midi, il le consacre à ses entrevues, à ses cours — il en donne à l’Institut catholique ―. Au moment de prendre congé, le voyant de plus près, je ne puis m’empêcher de remarquer davantage la frêle complexion de ce petit homme, déjà presque blanc, voûté, ramassé sur soi. Léon Daudet, qui avait le trait cruel, ne l’avait-il pas comparé un jour à un « singe sur un orgue de barbarie » ? Mais, en même temps, je me sens