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mes mémoires

trait de l’historien en plain-pied, en tenue d’académicien. Sur la cheminée un portrait de Foch avec dédicace, une statuette de la Petite Thérèse. L’homme que j’aperçois derrière sa table de travail paraît si grêle, si menu, qu’on se demande comment un si petit corps peut loger une si belle et si grande âme. Il porte une barbe blanche, courte ; il a des cheveux grisonnants qui se raréfient, le teint parcheminé ; mais les yeux, le sourire restent étonnamment jeunes et doux, pleins de candeur et parfois j’entends un éclat de rire qui est presque celui d’un adolescent. Il est bien vrai qu’une certaine pureté d’âme confère au visage humain un air d’immortelle jeunesse.

Et je pose mes questions. L’historien croit à l’histoire synthétique, est persuadé qu’on en peut dessiner les lignes générales, qu’il s’agisse de vie politique, économique, sociale ou religieuse. Il suffit d’une enquête bien menée et d’un peu d’envergure d’esprit pour y arriver. Il ne croit point à la biographie ni au portrait. Les actions humaines restent secrètes et cachées dans leurs sources. L’homme est un inconnu pour soi-même. Comment ne le serait-il point pour l’historien ? Ses mémoires, ses lettres ne le révèlent pas entièrement, parce qu’il ne s’y met pas entièrement. Souvent les plus grandes actions de la vie d’un homme sont déterminées par de petits faits qui échappent aux investigations de l’historien. Rien de plus mystérieux que la psychologie humaine. À ce sujet, M. Goyau me confie qu’il va éditer prochainement les lettres de Montalembert à Lamennais, et que cependant, dans cette correspondance, il devra supprimer certains passages douloureux pour Montalembert et pour sa famille, et sans lesquels cependant un portrait de Montalembert reste incomplet, et certaines de ses attitudes restent sans explication. D’où, pour Goyau, le discrédit dans lequel tombe le portrait historique, parce que fatalement il y entre trop de fantaisie. Une autre anecdote : un jour le général Pilsudski [dictateur en quelque sorte de la Pologne après la guerre de 1914] vient en