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cinquième volume 1926-1931

autant le prêtre resté au pays se donne la mine d’un recroquevillé, je ne veux pas dire d’un fonctionnaire, qui se garde bien de compliquer sa petite fonction.

Les derniers mots lâchés avec précaution et un peu de tremblement, je regarde mes auditeurs. Humblement ils opinent du bonnet. Pas un mot à reprendre, à me reprocher. Et j’attends la deuxième question. Elle vient sans tarder :

— Chez vous, que pense-t-on de notre politique ?

Question encore plus litigieuse que la première. Je n’ai devant moi, je m’en rends bien compte, que des jeunes républicains, sinon même des jeunes démocrates. Encouragé néanmoins par leur humble attitude jusqu’à ce moment, j’entreprends de répondre :

— Bien, leur dis-je, au Canada, je ne vous l’apprends point, nous vivons en régime politique de rite britannique. Rite respecté, observé rigoureusement. Il ne s’agit pas d’en discuter, et, par exemple, s’il nous convient à nous, Français de vieille souche. Il nous arrive d’en douter. Il reste que ce régime nous donne une certaine stabilité gouvernementale. D’ordinaire, la durée d’un ministère ou d’un gouvernement peut aller, sauf accident imprévu, jusqu’à quatre ans à tout le moins. Mais un parti ou une équipe politique peut rester au pouvoir bien au-delà de cette durée : dix ans, quinze ans et même davantage. Ainsi, dans le Québec, le parti qui gouverne actuellement détient le pouvoir depuis au-delà de vingt ans. En regard de cet état de choses, je ne vous cacherai pas que vos incessantes culbutes de ministères nous étonnent et même nous effraient un peu sur la continuité possible d’une politique. Et même il nous arrive parfois de nous dire : faut-il que la France ait une santé pour résister à pareil régime !

Hélas, imprudent, gâteux que je suis ! À peine ai-je lâché ces derniers mots qu’une tempête de protestations m’assourdit. Le demi-cercle devant moi s’est resserré, fermé. Tous parlent ensemble ; tous me parlent avec force, dans le visage, avec des yeux plus remplis de pitié que de colère. Décidément je suis un pauvre bougre. Dans le fracas des voix je ne puis que démêler des phrases