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cinquième volume 1926-1931

sial qu’une aide occasionnelle, la veille des grandes fêtes : Quarante Heures, Noël, Pâques, et encore en pleine liberté. J’aimais, en outre, la compagnie des confrères. De toute ma vie, je n’avais connu, au reste, d’autre milieu que le milieu sacerdotal. Toutefois, en l’heureux presbytère, un problème se posait presque aigu : problème d’espace où loger ma bibliothèque. Cette bibliothèque, les exigences du métier m’obligeaient à l’accroître sans cesse. Au presbytère du Mile End, mes livres débordaient effrontément dans le corridor attenant à ma chambre ; j’avais déjà pris pied dans une seconde chambre. Un autre curé se montrerait-il aussi tolérant ? Et il y avait lieu de penser à une autre éventualité. Tant de fois, l’abbé Perrier, homme de si noble conscience, avait tenu devant nous ce propos : « À soixante ans, je prendrai ma retraite. J’en ai trop vu de ces chers confrères qui, pour n’avoir pas su se retirer à temps, n’ont plus trouvé le courage de le faire, et ont passé leur vieillesse à détruire le meilleur de leur œuvre. » L’abbé Perrier approchait de la soixantaine. Depuis quelques années, son optimisme paraissait s’envoler. Il voyait sa paroisse envahie, grignotée par la poussée juive, vague irrésistible venue du bas de la ville. Un certain nombre de ses meilleurs paroissiens avaient commencé d’émigrer. J’allai exposer mon cas à Mgr Georges Gauthier, administrateur du diocèse. Il approuva mon dessein. Ce qui me prouva une fois de plus que mes chefs ecclésiastiques de ce temps-là ne soupçonnaient rien des exigences d’un enseignement d’histoire universitaire. Se sont-ils jamais bien figuré l’âpre nécessité de longues recherches aux Archives et tout le reste des travaux du terrible métier ? « Je vous donnerai une petite paroisse, me dit Son Excellence, aux environs de Montréal, une paroisse qui vous laissera du temps ; vous aurez votre voiture et vous viendrez donner vos cours d’histoire comme d’habitude. » Quelques jours plus tard, on m’offrait cette petite paroisse, dans la région du Richelieu. Pris d’inquiétude cependant, me connaissant assez pour craindre que ma petite paroisse ne finît par m’accaparer pour de bon, je m’en ouvris à mon bon ami, l’abbé Perrier. La réponse fut spontanée, catégorique : « Si vous devenez curé, je vous connais un peu, adieu l’histoire ! » Je refusai la petite paroisse. Sur ce, la Providence s’en mêlant, L’Action française dont je reste encore le directeur et qui désire me garder à ce poste,