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mes mémoires

en mission à travers le monde. Chez nous, qui sommes aux prises avec le sortilège d’une civilisation étonnamment puissante… dites-vous bien que, devant les productions de votre grande pensée, nous éprouvons quelque chose du sentiment du Français de France qui, par exemple, débouchant sur le parvis de Notre-Dame, et apercevant au fond le profil de la Cathédrale, peut se dire : c’est le Génie de ma race, c’est le Génie de ma foi qui a dressé dans les airs cette majestueuse beauté…

Pour la défense de notre nationalisme, défense non superflue devant ces Français qui n’admettent de légitime nationalisme que le leur, — comme tous les grands peuples du reste, et comme tous les peuples impérialistes ―, je m’emploie à démontrer les fondements historiques et juridiques de ce qui n’est, en définitive, que notre vouloir-vivre. En ce nationalisme, rien de ce qui s’apparente au racisme ; rien, non plus, qui ne s’appuierait que sur la self-determination :

La langue, la race qu’ils tiennent, sans doute, pour des réalités, ne représentent, pour les Canadiens français, aucune de ces idéologies orgueilleuses où se sont complu des philosophes saxons ou germains. Fiers assurément de leurs ancêtres, conquistadors de la forêt boréale et de l’hinterland américain, les descendants des colons de Colbert et de Richelieu n’y ont pourtant jamais admiré [en ces pionniers], la plus splendide espèce d’hommes « dont la vue ait pu réjouir les astres et la terre ». En tout cas, leur droit de vivre ne se fonde nullement… sur cette fierté.

Une autre méprise, ce serait de se représenter le nationalisme canadien-français comme la lutte d’une nationalité contre l’État, un mouvement nationalitaire offensif, se prévalant du faux principe de la self-determination, pour bousculer les autres nationalités et troubler l’économie politique du Canada.

 

Le Canadien français n’est pas dans son pays un immigrant de fraîche date, ayant rompu avec ses traditions, renoncé à son individualité nationale pour s’absorber dans la population de sa nouvelle patrie. Le Canadien français est le plus vieil habitant du Canada ; il en est le découvreur, le défricheur, l’évangélisateur ; il y a pris racine, il y a trois cents ans et il y a vécu seul, 150 ans avant qu’apparût, sur les bords du Saint-Laurent, le premier colon britannique.