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mes mémoires

accompagnés de l’abbé Jetté, étudiant à l’Institut catholique (aujourd’hui évêque auxiliaire de Joliette). En tout une quarantaine de personnes. Pusillus grex, mais qui m’intimide presque autant que mon auditoire de la Sorbonne. J’ai gardé peu de notes de mon voyage à Paris en cette année 1931. J’avais tenu pourtant à consigner quelques souvenirs de cette réunion, tant, sans doute, j’y avais attaché de prix. Voici un court passage de ma brève relation :

Le Père du Passage me souhaite la bienvenue ; puis, assis derrière une table [dans la salle de rédaction des Études], je réponds aux questions que l’on me pose sur le Canada, sur les moyens de nous aider à garder la langue et la foi. Je ramène ces moyens à ceux-ci : 1o Que la France catholique continue de faire ce qu’elle fait : de beaux livres, de belles œuvres d’action catholique ; et, par cela seul, elle nourrit nos intelligences, notre foi, nous fournit des modèles d’action ; 2o Qu’elle empêche, si possible, l’exportation de sa vilaine littérature, de son mauvais théâtre ; 3o Qu’elle s’efforce de protéger nos étudiants à Paris ; qu’elle trouve les moyens de leur faire prendre contact avec le monde et la pensée catholiques ; 4o Qu’elle surveille ses enquêteurs qui vont au Canada ; qu’elle les dirige vers des milieux propres à les renseigner, et non vers nos milieux snobs qui font profession d’accueillir, chez nous, les Français de passage : milieux anglicisés et anglicisants qui ne peuvent donner du Canada français qu’une image déformée, incomplète à coup sûr ; 5o Que les catholiques français révèlent notre existence, notre vitalité nationale et religieuse ; qu’ils empêchent qu’en certains lieux (à Rome), ne s’accrédite la légende de notre disparition inévitable et prochaine ; 6o Que les Français fassent leurs affaires en français au Canada et maintiennent ainsi, chez nous, la valeur économique du français.

L’auteur du rapport de cette soirée au Devoir voulut bien écrire que ma conférence-causerie « obtint un succès très vif ». Le souvenir que j’en ai gardé est celui d’un milieu et d’un auditoire extrêmement sympathiques. J’aurais fait mon voyage uniquement pour rencontrer cette sorte de Français que j’aurais estimé n’avoir point consenti des frais inutiles.