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mes mémoires

s’appelait Le Nationaliste, nous avait passionnés. Le premier numéro en était paru le 6 mars 1904. On savait le journal rédigé dans un sous-sol humide et noir de la rue Saint-Vincent, à Montréal, en face de ce qui sera l’édifice du Devoir à ses débuts. Le jeune homme, qui en était le directeur, prit tôt, dans l’admiration des jeunes que nous étions, l’auréole d’un héros. Batailleur, frondeur, d’un esprit endiablé, le petit journal bravait toutes les puissances, frappait au visage, risquait procès sur procès. L’on n’avait pas souvenir que dans la presse canadienne-française, l’on se fût jamais battu comme se battait cet Asselin. Le nom de son journal, arboré comme une cocarde, annonçait toute une époque. L’année 1904, c’est la date de naissance de l’ACJC. Remuée par la parole de Bourassa, la jeunesse se sent travaillée d’aspirations neuves, intransigeantes. Dans sa province, dans la maison de ses pères, elle veut se sentir chez soi. Elle y voudrait une politique nationale. Elle est lasse, infiniment lasse des partisanneries politiques et des politiciens affairistes, sans idées, sans patriotisme, qui, pour moins qu’un plat de mauvaises lentilles, livrent à l’étranger le patrimoine ancestral. Le Nationaliste, c’est la voix de ces revendications, de ces colères. Le directeur du journal, polémiste d’une rare puissance, — le premier journaliste du Canada, me dira un jour Omer Héroux, — a le don d’une ironie brûlante : celle de Voltaire, mais moins sèche, plus truculente et avec peut-être un peu plus de vitriol. Olivar Asselin a, en outre, l’implacable ténacité du dogue enragé. On prête ce mot à Maurras, mordu par un chien et hésitant à se faire soigner : « Il est bon qu’un polémiste soit un peu enragé. » Il semble bien qu’Asselin ait été mordu, un de ces jours, par quelque chien qui n’était pas un caniche. Pour lui, les idées, ce sont d’abord des hommes. Il s’en prend aux hommes encore plus qu’aux idées. Le mot d’ordre de César à ses troupiers est le sien : il frappe à la tête et à la tête des plus grands. Malheur à ceux qui deviennent sa cible. Le fougueux polémiste ne lâche son homme que démoli, abattu, écrasé. Que de statues d’argile, statues prétentieuses, ébranlées, secouées par l’iconoclaste, se sont écroulées dans la poussière pour ne plus jamais se relever. Au reste, dans Le Nationaliste, tout est à l’emporte-pièce : l’article du directeur et ceux de ses collaborateurs, la caricature, et même ces « Échos et commentaires » qu’à Valleyfield, je me souviens, nous lisions en petit comité pour en