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il s’intéressa à lui et le conseilla dans ses lectures. Ce petit primaire apprit assez joliment sa langue. Sous le pseudonyme de Nap. Tellier, il accéda même à la haute rédaction du Devoir, où il écrivit des Billets du soir. Il en fit même paraître un petit volume qui a pour titre : À bout portant. Une seule phrase, début d’un de ces Billets, révèle ce qui était resté de gavroche en ce jeune autodidacte : « Je suis un type dans le genre de La Presse ; je ne sais pas le français. » Lafortune, petit homme malingre, presque rachitique, n’en est pas moins l’action faite homme. Moteur électrique, toujours bruissant et tournant. En son cerveau vingt projets peuvent naître en un jour dont deux ou trois point chimériques. Lorsque Lafortune entrera à notre service, ce sera mon lot de faire le tri définitif entre ces deux ou trois projets. Réconforté par cette condescendance, le moteur se remettra tout de suite en action. En novembre 1919, la revue annonce que M. Napoléon Lafortune qui, « depuis près d’un an déjà, nous apportait le précieux concours d’une vive énergie et d’une activité toujours en éveil, consacrera désormais tout son temps aux œuvres de l’Action française. Il assume, sous le contrôle du comité général, la direction de nos services administratifs ». Lafortune, au nom prédestiné, bâtira la structure financière de notre œuvre. Il y parviendra, par la fondation de la Librairie, librairie d’édition et d’importation. L’Action française se fait éditrice de ses propres brochures et de ses volumes. Elle possède même sa petite imprimerie. Elle entreprend aussi d’importer de France ou d’ailleurs les ouvrages qui pourraient répondre aux besoins de sa clientèle. Cette clientèle s’accroît bientôt des communautés religieuses et des institutions scolaires. On croit notre œuvre nécessaire, on l’aime, on veut l’épauler ; on y vient acheter les livres de récompense pour fin d’année. Dans l’intervalle, devenus trop « gros », il nous a fallu quitter le petit bureau de La Sauvegarde. Grâce à un prêt de M. l’abbé Perrier, la Ligue s’est portée acquéreur de l’immeuble no 369 rue Saint-Denis, presque en face de la Bibliothèque Saint-Sulpice. Elle en occupe deux étages, laissant le troisième à un locataire : histoire d’aider ses finances. Je ne possède aucun document sur le chiffre d’affaires de notre Librairie. Je sais seulement que, par sa clientèle, grande acheteuse de livres, elle est devenue l’une des librairies importantes de Montréal, au point de porter ombrage à ses rivales. En