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troisième volume 1920-1928

tre d’une véritable maîtrise. Sa conférence du début sera suivie d’une deuxième sur les « Maîtres primitifs » ; puis passeront, à tour de rôle, « François-Xavier Garneau », « Louis-Philippe Turcotte », « Jean-Baptiste-Antoine Ferland », « M. Thomas Chapais », « M. l’abbé Lionel Groulx ». Au sentiment unanime, Henri d’Arles écrira, cette année-là, l’un de ses meilleurs ouvrages, et en même temps, l’une des œuvres les plus solides et les plus sagaces de la critique au Canada français. Je ne note qu’un petit incident qui montre bien ce qu’il y avait, dans le personnage, suprême élégant, d’esprit volontiers frondeur. À sa conférence sur Garneau, il n’avait pas manqué d’inviter expressément le petit-fils de l’écrivain, Hector Garneau. L’on imagine un peu la tête et l’humeur de ce grand nerveux de Garneau quand il s’aperçut qu’on ne l’avait invité là que pour lui reprocher vertement d’avoir manqué de respect envers la mémoire de son aïeul. Le petit-fils avait réédité l’Histoire du Canada du grand-père avec restitution de textes supprimés et désavoués par l’auteur en ses dernières éditions. « Est-ce là faire œuvre loyale d’éditeur ? demandait sans pitié le conférencier. Et non seulement, ajoutait-il, ces textes répudiés sont restitués, mais de copieuses notes, puisées dans des historiens libres penseurs, viennent amplifier et corroborer ces opinions absolument inadmissibles en saine philosophie historique. » Le public s’amusa de cette mercuriale ; M. Hector Garneau, point du tout.

La carrière de conférencier d’Henri d’Arles s’arrêterait à ces conférences. Il aurait grandement désiré occuper la chaire de professeur de littérature canadienne-française à l’Université de Montréal. On ne voulut pas de lui. Qu’allait-il devenir ? Il espérait édifier une œuvre de critique littéraire dont les dimensions l’enchantaient. Il y mettrait tout le reste de sa vie. Il alla frapper à des portes qui ne s’ouvrirent point. Puis, hélas, le dilettante, le chercheur de rêves n’était pas totalement mort en ce pauvre Henri d’Arles. Entré dans l’ordre des Dominicains, il en était sorti après quelques années. Dans le clergé séculier, il n’avait pu tenir en place. En 1921, après sa série de conférences à l’Action française, il quittait le Canada, en secouant contre le pays natal la poussière de ses souliers à boucles ; l’on n’avait pas voulu de son enseignement. Il partait pour ne plus jamais revenir, disait-il. Un jour l’on apprit qu’il s’était agrégé au diocèse