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troisième volume 1920-1928

article ; mais je n’ai pas reçu mon papier que j’attends d’un jour à l’autre. Et je ne puis écrire que sur mon papier. » En effet, le papier arriva un jour ou deux plus tard. En un tournemain, le cher homme put me remettre son texte, écrit de sa petite écriture, droite, égale, à lignes également distancées, sans la moindre rature.

Était-ce une autre étrangeté ? Cet abbé si mou, si mondain d’apparence, avait un esprit grave, vigoureux. Il savait finement badiner, et avec les intimes il se prêtait à la taquinerie. Mais la pensée, chez lui, s’élevait d’un vol naturel vers ce que j’appellerais les grands sujets. Il les recherchait. Il aimait causer de littérature, d’art, de politique, de philosophie, de théologie, de choses religieuses. C’était, pour lui, atmosphère familière. Il avait débuté en littérature par des opuscules qui fleuraient la préciosité, le maniérisme. Puis, il était venu à l’histoire. Il avait entrepris un ouvrage de longue haleine : la traduction en français, sinon même la refonte avec larges annotations, d’Acadia d’Édouard Richard. L’austère discipline avait visiblement mûri son esprit, l’avait arraché à son dilettantisme. Un soir, Henri Bourassa lui en faisait le compliment. On s’en aperçut tout de suite, du reste, à sa nouvelle manière d’écrire. Il en resta à l’académisme, mais un académisme d’une sobriété presque classique. La plume du doucereux, de l’élégant abbé démontra même qu’elle pouvait se faire maligne, acérée. Quelques-uns l’apprirent à leurs dépens, dont ce pauvre abbé Émile Charrier qui s’était frotté au critique. Le critique chez lui n’avait rien d’un métaphysicien de la littérature et de l’art. Il ne jugeait pas d’après des canons rigides. C’était plutôt un impressionniste ; ce qui l’exposait à la superficialité. Mais il avait l’esprit distingué. Il avait lu et lisait beaucoup ; il possédait une culture littéraire assez étendue. Et c’était un homme de goût. Quelle grande œuvre aussi en son temps serait née qui lui eût permis de donner sa mesure ?

Ma correspondance avec cet homme de lettres date de 1918. C’est le 18 février de cette année-là qu’il m’écrivait pour la première fois. Le sculpteur Gosselin, de Manchester, É.-U., prépa-