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quatrième volume 1920-1928

au destin de ces porteurs de lumière, phares perchés sur leur promontoire, à la crête d’un roc, au milieu d’un fleuve ou en pleine mer. Que savent-ils des naufrages dont ils ont préservé les hommes, des navires dont ils ont rectifié la route ? Que savent-ils même des songeries des poètes et des rêveurs qui, autour de leur œil lumineux, perdu dans les vents et les brumes, s’en sont venues voltiger, certains soirs, comme autant de somptueux papillons de nuit ?

Qu’est-il resté de l’Action française ? Quand j’essaie de définir l’originalité de ce mouvement, il me semble que ce fut de ramasser en synthèse, une synthèse plus précise, étoffée, les idées éparses jetées dans l’esprit de la foule par Bourassa, Le Devoir, toute l’École nationaliste. Ce fut encore de mettre au service de ces idées, pour obtenir qu’elles marchent, qu’elles vivent, qu’elles se réalisent dans les faits, à peu près tous les moyens de propagande. Mouvement qui m’a passionné à certaines heures, malgré les déboires, les déceptions que j’y ai essuyés. Qu’il est dur, difficile de tirer de sa léthargie un petit peuple désaxé par une conquête, empoisonné par les siens, surtout par ses politiciens, courtisans du conquérant : traîtres, peut-être inconscients, mais troupeau de faméliques toujours prêts à tout sacrifier pour la gloriole d’un homme ou pour la mangeoire d’un parti !

Cependant je ne me séparai point sans chagrin de cette œuvre d’Action française. Je ne la vis point mourir sans beaucoup de peine. Par quoi serait-elle remplacée ? Impossible pour moi d’oublier ces dix ans où un groupe d’hommes avaient librement, gratuitement donné le meilleur d’eux-mêmes. Pouvais-je oublier, entre bien d’autres souvenirs, ces soirs où, après nos réunions et nos discussions parfois vives à l’immeuble de la rue Saint-Denis, je remontais à pied, vers le presbytère du Mile End, seul avec Antonio Perrault ? Perrault était celui-là du groupe avec qui, sur tous nos problèmes, je me sentais le plus parfaitement d’accord. Il se faisait tard ; sur la rue presque solitaire, nous pouvions échanger, dans la grande intimité, idées et sentiments. Que nous l’aimions notre petit pays ! Que nous étions loin du scepticisme, du mépris hautain des jeunes générations d’aujourd’hui si affreusement déboussolées ! Notre petit pays français et catholique, c’était, pour nous, une réalité riche, l’es-