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quatrième volume 1920-1928

J’ai cru et je crois enfin que l’on paye un administrateur $3,600. par année pour faire autres choses que de collecter des abonnements, vendre un almanach, faire imprimer quelques livres, rechercher des commandes et des abonnés.

 

Quant à ce qui me concerne, je résume d’un mot toute ma pensée. Je suis comme la Colette Baudoche de Barrès. J’ai la volonté de ne pas subir, la volonté de n’accepter que ce qui s’accorde avec mon sentiment intérieur. Vous trouverez dans cette volonté la raison de toutes mes meilleures actions depuis trente ans. Je me suis souvent repenti de n’avoir pas accepté ce sentiment. Je n’ai jamais regretté de l’avoir suivi.

Mais pour tout dire, il y a plus aujourd’hui.

Je suis rendu à bout. J’ai eu tort de céder à vos instances. J’aurais dû m’en tenir à mes témoignages de dévouement éventuels sans entrer dans la fournaise de la direction. Je n’ai plus de ressort, et la lutte m’abat, jusqu’à quel point vous ne sauriez le croire !…

Ces citations sont peut-être un peu longues. Elles font connaître, mieux que tout portrait ou toute description, les hommes avec qui j’ai travaillé. Cette controverse nous met au surplus au cœur du drame où l’Action française, comme nous allons voir, va trouver sa fin. Tout est parti de ces divergences.

Je reviens au pays au début de mai 1922. Napoléon Lafortune reste au service de l’Action française encore deux ans. À mon retour j’ai assumé la direction de la revue et la direction morale de tout le reste. Deux fois par semaine, je reprends le chemin du bureau de l’Action française, y recevoir clients et amis. Je m’accorde assez bien avec Lafortune, l’homme à la tête en fermentation perpétuelle, accouchant de vingt projets ou plans par jour, dont un ou deux acceptables. Le gérant accepte, sans trop récriminer, que je promène mes ciseaux à travers la trop large étoffe de ses rêves. Il ne s’accorde pas aussi bien avec Perrault qui, aux réunions du Comité de direction, goûte peu la morgue de Lafortune, resté passablement gavroche. Le pire est que le gérant se permet de traiter nos clients avec la même désinvolture. L’homme n’en reste pas moins précieux. Pendant ces deux années qui suivent mon retour d’Eu-