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mes mémoires

À Paris je lisais et relisais ces lettres, fort embarrassé, cherchant quel parti prendre. Je sentais notre œuvre à la veille d’un conflit peut-être irrémédiable. Je tenais à ces deux hommes qui s’affrontaient. Je pouvais difficilement laisser partir Antonio Perrault, homme de pensée qui m’apportait un appui intellectuel indispensable. Je ne pouvais me passer du Dr Gauvreau, homme d’action, si nécessaire à une entreprise encore chancelante, et qui mettait, en son dévouement, un allant, une fougue quasi chevaleresque. Tous deux faisaient la paire. Ils eussent dû s’entendre. Dans le Comité de direction, je ne voyais personne qui pût les suppléer. Sur le fond des choses, il me semblait que la raison fût du côté du Dr Gauvreau. Mais l’un et l’autre ne se faisaient-ils pas grandement illusion sur mon rôle possible à l’Action française ? J’avais promis de donner à l’œuvre dix ans de ma vie. Au souvenir de cette petite querelle, je ne puis m’empêcher de songer combien mes deux amis se méprenaient sur les exigences de mon enseignement à l’Université. Ni l’un ni l’autre ne se rendaient compte du caractère accaparant, débordant, du métier d’historien. Ils croyaient, et ils n’étaient pas les seuls, que je pouvais mener de front ma fonction de professeur et d’écrivain d’histoire, et la direction d’une œuvre comme celle de l’Action française. Ils connaissaient mal l’Histoire, amante jalouse, dame intraitable, incapable de souffrir qu’on s’occupe de quelque autre qu’elle-même. Au fond, qu’attendaient de moi mes deux amis ? Que je prisse sous ma responsabilité la direction intellectuelle de l’œuvre, surtout de la revue, et en même temps, la direction au moins morale des entreprises commerciales.

Qu’ai-je répondu à Perrault et au Dr Gauvreau ? Je n’ai pas mes lettres. J’inclinais, sans doute, vers la conciliation ou vers un compromis. Je savais, par expérience, que les œuvres peuvent vivre un temps, du seul dévouement, mais qu’elles n’en peuvent vivre tout le temps. Ai-je proposé un partage, une division plutôt tranchée entre l’esprit et le corps de l’Action française, chaque partie ayant son administration distincte ? Une lettre de M. Perrault du 22 mars 1922 le donnerait à penser :

Votre lettre du 12 février m’a fort intéressé. Notre œuvre vous tient au cœur ; j’en suis heureux pour elle, en particulier, et pour notre race, en général. Sur son organisation, sur les moyens de