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quatrième volume 1920-1928

responsabilités intellectuelles ». D’abord publié en brochure, après qu’une large tranche en eût paru dans L’Action française (XIX : 81-96), le discours est reproduit dans mes Orientations (p. 11-55). Ces responsabilités, je les décrivis par référence aux Canadiens français, mais aussi au milieu canadien et au milieu américain. Citerai-je, malgré sa longueur, un extrait de la conclusion de mon discours ? On me le pardonnera, sans doute, pour la méritoire conciliation que je tente, après tant de fois, entre le nationalisme littéraire et le culte de l’universel :

Je cherche donc vainement en quoi nos responsabilités intellectuelles pourraient gêner notre vie littéraire. Je cherche même en quoi la préoccupation de l’universel, même combinée avec les soucis d’un nationalisme légitime, pourrait affaiblir ou atténuer la personnalité de l’artiste ou de l’écrivain. Pour un peuple comme pour un individu, il n’est qu’une façon d’être original, c’est d’être soi-même, mais de l’être. Nous faire distincts de tous, rester le plus possible de notre terre, de notre race, mais aussi de notre foi, pas de plus sûr moyen d’atteindre à la puissante originalité. « Plus un poète chante dans son arbre généalogique, plus il chante juste », a dit Jean Cocteau. Et Maritain d’ajouter : « Les œuvres les plus universelles et les plus humaines sont celles qui portent le plus franchement la marque de leur patrie. » Voyons plutôt : de quoi se pourraient plaindre notre vie intellectuelle et même la vie nationale, si, pour avoir tenu devant nos yeux tout l’horizon de nos responsabilités, nos esprits se trouvaient vivifiés, stimulés, si des buts plus hauts, plus enivrants, nous arrachaient des œuvres plus puissantes, mieux faites, plus chargées, pour la patrie elle-même, d’énergie vitale ? Car, enfin, le choix qui se propose à nos volontés est celui-ci : ou nous replier sur nous-mêmes, n’être que des faiseurs de petits vers, de petits romans, de petite littérature ; pour de petites fins étroites et égoïstes, nous livrer à toutes les déliquescences de l’esprit ; et alors, et par fatale conséquence, n’être que les amuseurs de l’Amérique, des fabricants d’opium et de narcotiques subtils ; par tous les poisons parfumés, intoxiquer l’être physique et moral de notre peuple et le conduire rapidement au suicide ; ou plutôt ouvrir très larges nos esprits aux obligations de notre foi et du génie national, nous constituer les défenseurs du bon sens, des meilleures traditions ; au règne envahisseur de la matière, opposer les forces conquérantes du spiritualisme ; et, par là, nous sauver nous-