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quatrième volume 1920-1928
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que les autres détruisent et veulent détruire plus que jamais. Nous n’avons plus ni temps ni forces pour ce rôle de dupes. Songeons à nous-mêmes.

Ces textes parlent par eux-mêmes. Ils n’ont rien d’entortillé. Mais alors, par quelle sophistique a-t-on pu travestir les intentions de l’enquête et en représenter les collaborateurs comme des séparatistes authentiques, des esprits envoûtés par leur mirage d’un État français sur les bords du Saint-Laurent ? Il se peut, je le veux bien, que l’écroulement prochain de la Confédération, d’abord aperçu comme forte probabilité, puis devenu imminent en nos esprits, nous ait fait passer de l’hypothèse à la thèse. Pour ma part, vivant alors à Paris, et en état de suivre de plus près peut-être les événements internationaux, frappé au surplus du déclin irréversible de l’Empire britannique et de la puissance grandissante des États-Unis — qu’on se rappelle Le Déclin de l’Europe de Demangeon, je crois, — la tournure inéluctable des événements en notre pays me parut inscrite dans l’évolution rapide de l’histoire du monde. Et j’en arrivai à présenter la formule de « Notre avenir politique » comme la formule la plus réaliste, la plus propre à coordonner, à orienter les forces vives de notre peuple. Mes conclusions, du reste, ne s’éloignaient pas tellement de celles d’un esprit grave, pondéré, celles de Georges Pelletier du Devoir qui terminait comme suit son article sur « Les obstacles économiques à l’indépendance du Canada français » :

Certes, il existe d’autres obstacles que ceux dont nous parlons ici à notre autonomie politique et économique, à la constitution finale d’un État français autonome en Amérique. Il faudra des années d’efforts, de travail et de détermination active pour les écarter tous, pour atteindre au but ultime. Mais d’autres pays en ont franchi d’aussi considérables et sont arrivés enfin à leur émancipation totale. Nous avons pour nous, par ailleurs, d’importants facteurs. Et puis, il y a, pour nous aider à atteindre au but, des éléments impondérables, mais puissants, la volonté de devenir quelqu’un, de vivre notre vie nationale pleinement. Nous y arriverons si nous y pensons à chaque heure, si nous nous y obstinons, si nous savons vouloir, agir, si nous agissons. L’issue finale n’en vaut-elle pas la peine ? Et qui, ayant la perspective d’une vie indépendante, mais difficile et modeste d’abord, irait préférer à cela la fusion dans la masse, ou la domesticité la plus dorée, mais perpétuelle ?