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mes mémoires

Ainsi, tout avait été pensé, écrit en prévision d’une catastrophe imminente. Pronostics aventureux que les nôtres ? Étions-nous les seuls à nourrir des inquiétudes sur l’avenir de la Confédération ? Dans mon premier article, j’avais cité l’extrait d’un discours de M. Alexandre Taschereau, prononcé le 17 avril 1921, au Congrès de la Fédération Saint-Jean-Baptiste. Et qu’y disait le premier ministre de la province de Québec ?

Nous sommes actuellement à la croisée des chemins : le statu quo ou la rupture du lien fédératif, l’annexion aux États-Unis ou l’indépendance.

L’orateur se défendait de toucher au statu quo ; le maintien de l’impérialisme britannique, l’annexion aux États-Unis lui paraissaient deux solutions inacceptables ; il optait plutôt pour l’indépendance du Canada. Il émettait pourtant, sur le pacte fédératif, d’assez graves propos :

Une profonde transformation du régime actuel est cependant susceptible de se produire le jour où les provinces de l’Est trouveront que leurs jeunes sœurs de l’Ouest exigent plus que leur part. Je ne veux pas parler politique, mais le grand problème du Canada n’est-il pas actuellement celui de sa politique ferroviaire ? La mainmise de l’État sur un grand nombre de nos réseaux de chemins de fer a peut-être sauvé les provinces de l’Ouest de la banqueroute qui les menaçait, mais on a jeté sur le dos des vieilles provinces un fardeau qui menace de devenir trop lourd malgré toute la bonne volonté qu’elles peuvent avoir. Plusieurs se demandent, non sans anxiété, si ce n’est pas là une première brèche et une forte brèche au pacte fédératif.

Ces paroles étaient prononcées à peu près vers le temps précis où l’Action française ébauchait son enquête. Mais les événements avaient marché. Le 6 décembre 1921, nous apprenions le résultat des élections fédérales. Elles me permettaient d’écrire au début de mon article-conclusion :

Cet article [mon article liminaire] n’était pas encore paru dans L’Action française, qu’avec une soudaineté imprévue, les événements confirmaient nos prévisions. Les élections canadiennes avaient lieu ; une fois de plus, avec une évidence irrésistible, s’affirmaient les antagonismes de notre pays.

Et j’évoquais la répercussion de l’événement dans l’esprit de l’homme « qui a porté sur nos problèmes le regard le plus vi-