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langue ils parleraient. Nous l’avons déjà dit : le canadianisme tout court n’est admissible qu’au point de vue politique ; il ne saurait l’être au point de vue national. On ne changera pas ce qui est et ce qui entend demeurer tel : il y a deux nationalités au Canada, et les Canadiens français ont pour le moins autant envie de durer que leurs compatriotes anglo-saxons.

Il y a beaucoup d’orateurs, par le temps qui court, qui nous prêchent l’ « unité nationale » dans l’oubli du « provincialisme » et des « affections de race »… Nous ne voulons pas plus de l’union législative et de la fusion des races que nos pères ne la voulaient, il y a soixante ans… (XVII : 270-271).

Le prêche de M. Beatty, Anglo-Canadien, n’avait rien, dira-t-on, qui pût grandement étonner. Par malheur, ai-je dit, ce prêche ne tombait pas dans le vide, même dans les milieux canadiens-français où les naïfs n’ont jamais fait défaut. Peu de temps après, j’aurai, en effet, à m’élever contre la complicité de quelques-uns des nôtres en cette prédication de suicide. À propos d’une mesure centralisatrice alors votée par Ottawa, le premier ministre du Québec n’avait pas craint de parler fortement. À la suite de ce débat au parlement québecois, j’écrivais :

À propos de l’exécrable loi fédérale des faillites, l’on y a rappelé que notre fédération politique est une fédération de provinces, que ces provinces ont des droits, une autonomie, et que ces droits et cette autonomie doivent être défendus avec énergie, et que l’État fédéral ferait bien de ne pas oublier les limites de sa juridiction.

Il était temps. Provincialisme était en train de devenir synonyme d’étroitesse d’esprit, de « nationalisme outrancier ». Ainsi le voulait un snobisme de fraîche date. Quelques-uns mêmes, dans l’emballement général, trouvaient malséant qu’une catégorie de Canadiens osassent encore se dénommer « Canadiens français ». Il ne fallait plus parler que d’ « unité nationale », de « nation canadienne », de « Canadiens tout court ».

À la vérité, nous comprenions mal, ici, cet acharnement des nôtres à ruiner les bases du pacte de 1867. Car c’est nous, en définitive, qui, il y a soixante ans, avons repoussé l’État unitaire pour faire triompher l’avènement d’une fédération, et qui avions quelque raison de faire ainsi. Il était temps qu’on réagît et que la réaction fût officielle. Il faut nous en tenir désormais à cette