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quatrième volume 1920-1928

les faiblesses et les lacunes ? On les disait de l’ordre idéologique ou psychologique. Les Canadiens français manqueraient de confiance en eux-mêmes ; ils ignoreraient tout de la solidarité dans le domaine économique ; il leur manquerait d’attacher une valeur nationale à l’argent, aux affaires. De là, chez eux, une cloison étanche entre l’activité économique et les autres compartiments de leur vie morale et sociale. De là encore, une épargne, des capitaux qui ne fructifiaient pas assez pour leur collectivité et qui souvent même fructifiaient contre elle. De là, enfin, dans la bouche des plus « empanachés » de nos hommes de finance, cette formule chargée de commodes équivoques : « Ne mêlons pas le patriotisme et les affaires ».

Quelques symptômes récents, certains revirements d’opinion me paraissaient néanmoins dignes de mention. Par exemple, en matière politique et économique, l’appel à la solidarité canadienne-française, propos considéré pendant si longtemps comme « à peu près immoral ». « Nous seuls, appuyais-je… avions le droit et le devoir d’être désunis et de laisser opérer contre nous la solidarité des autres » ; puis — et c’est encore du nouveau — le danger signalé par un homme comme M. Beaudry Leman, « de faire trop grande, sur nos marchés et dans nos entreprises, la part du capital étranger ».

Plusieurs collaborateurs de l’enquête, entre autres, Antonio Perrault, ont rappelé, ai-je dit, les normes de toute économie orthodoxe. J’en profitai pour y insister, à mon tour, m’adressant à la jeunesse :

Elle devra se souvenir… qu’une dépendance existe entre les divers facteurs du progrès. Une richesse n’est pas une richesse par cela seul qu’elle l’est en elle-même ; il faut qu’en plus elle représente un élément de l’équilibre économique, lequel n’est souvent à son tour qu’un élément de l’équilibre moral et social… Croyons-en surtout notre foi. Si le catholicisme reste pour nous ce qu’il doit être, si nous l’acceptons loyalement dans sa vérité, il nous indique selon quelle discipline, dans quelle hiérarchie des valeurs, doit se construire la cité terrestre. Et de la part d’une élite de croyants, ce serait un étrange illogisme de ne pas admettre ces directives du catholicisme et une insouciance encore plus étrange de ne pas les vivre.