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mes mémoires

s’il n’était pas et ne voulait pas être synonyme de littérature canadienne tout court.

L’auteur de l’article exposait, en données précises, le débat. Il avait écrit quelques lignes plus haut :

Disons que chez nous, qui ne sommes pas seulement une province intellectuelle de la France, mais une province séparée, autonome, douée d’une existence nationale qui nous est propre, le régionalisme devient synonyme de littérature nationale.

Tout de même qu’il y a une littérature française, parce qu’essentiellement française et une littérature anglaise ou allemande ou américaine, parce qu’essentiellement anglaise, allemande ou américaine, de même, disions-nous, la littérature canadienne-française sera canadienne-française ou elle ne sera pas. Mise au point plutôt claire. Entre autres gens qu’incorrigibles querelleurs à la normande, elle aurait dû dissiper toute équivoque. Il n’en sera rien. La plupart de nos intellectuels vont continuer de vouer le régionalisme à toutes les gémonies, tout en acclamant des romans aussi régionalistes que ceux de Roger Lemelin et Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. C’est que la plupart de nos critiques, citadins qui n’entendent rien à la vie ou à la poésie rurales, paraissent incapables de ne pas identifier le régionalisme avec le folklorisme ou la littérature campagnarde ou paysanne. Foin pour eux de ces thèmes où il leur semble que l’écrivain régionaliste ne puisse être que médiocre et enfantin. Qu’on nous peigne en revanche la vie ou les personnages d’un faubourg de Montréal et de Québec, et ce n’est plus du régionalisme. Certes, le sujet compte pour quelque chose en littérature et en art. Qui ne sait, d’autre part, ce que peuvent tirer, de la matière la plus simple, ces grands magiciens que sont l’écrivain et l’artiste de race ? L’on a pu se gausser de « l’Heure des vaches ». Mais la question serait bien plutôt de savoir si « l’Heure des vaches » serait vide de poésie, si, pour la chanter, le grand poète, un Frédéric Mistral, nous aurait manqué ? Rien de plus modeste, non plus, ni rien de plus prosaïque apparemment que la vie d’un colon. Qui ne sait néanmoins ce qu’en ont tiré un Louis Hémon, dans Maria Chapdelaine, et un Mgr Félix-Antoine Savard, dans Menaud, maître-draveur et L’Abatis ? Par les mêmes exemples, qui osera prétendre que les thèmes les plus particularistes et les plus nationaux ne puissent s’élever