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mes mémoires

sera notre philosophie ?, Hermas Bastien, l’un de nos jeunes collaborateurs, répond : « Ce sera le thomisme, philosophie catholique et universaliste » :

C’est la philosophie éternelle — selon le mot de Leibniz — … qui nous détournera des aventures hasardeuses que nous n’avons pas le loisir de tenter ; qui nous aidera à mettre à la base de nos efforts de survivance la primauté intellectuelle (L’Action française, XIII : 316).

L’année suivante, le Père M.-A. Lamarche, o.p., sous le titre « Pour nos étudiants », présente aux lecteurs de L’Action française, l’édition de poche de la Somme thomiste, alors en cours de publication par la Revue des Jeunes de France (XIV : 303-308).

Au Canada français, le problème intellectuel se posait alors et se pose encore sous un aspect très particulier : l’aspect littéraire. Discuterons-nous ici de l’existence ou de la non-existence d’une littérature canadienne-française ? Laissons ce débat à nos Byzantins qui s’y complaisent éperdument. Tout au plus et puisqu’il faut tenir pour inexistante cette pauvre littérature, y a-t-il lieu de se demander la raison du mépris dont l’on accable ce néant ? D’autres questions surgissent plus pertinentes et, par exemple, la question du contenu, du sujet de l’œuvre littéraire. Au moins par la langue, la littérature canadienne-française relève de la littérature de France. Entre celle-ci et celle-là, quels rapports établir ? La cadette peut-elle prétendre à l’indépendance absolue ? Sinon, et qu’elle ne puisse se passer de béquilles, quel comportement sera le sien devant l’illustre aînée ? N’en sera-t-elle qu’une annexe, une petite colonie ou province dans l’auguste métropole ? Dans les limites mêmes de son autonomie, la littérature canadienne-française ne peut esquiver un autre problème, et celui-ci qu’on pourrait dire de vie intérieure, de concept esthétique. De quelque équivoque, en effet, qu’on l’entoure, une question précise à tout le moins se pose : le littérateur canadien-français optera-t-il pour les thèmes universels ou accordera-t-il sa préférence aux thèmes régionalistes ou canadiens ? En ces termes se posait principalement le problème littéraire ou artistique, au Canada français, il y a trente