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quatrième volume 1920-1928

— Oui, de répondre Bourassa, j’ai fondé un journal ; si j’en ai assumé la direction, c’est que personne ne voulait s’en charger à ma place. Je vous soumets donc une proposition : je raconterai mes Mémoires en dix conférences. Vous retiendrez les services d’un sténographe ; je relirai sa copie et vous ferez, de mon texte, ce que vous voudrez.

Marché accepté. Dans les premiers jours d’octobre 1943, André Laurendeau et Jean Drapeau m’arrivent :

— Vous n’accepteriez pas de remercier Bourassa, après sa première conférence ?…

Je me récrie… Je songe à cette hargne dont le cher homme n’a cessé de me poursuivre depuis au moins quinze ans. Je me rappelle là-dessus, les propos que me rapportait, de temps à autre, mon ami Edmond Hurtubise. Je dis à mes jeunes amis :

— Perdez-vous la tête ? Avez-vous envie de provoquer un éclat et de voir votre conférencier vous échapper par la première porte ?…

— Non. Nous lui avons soumis la chose : si vous le voulez bien, M. Bourassa, M. Antonio Perrault vous présentera à l’auditoire ; M. l’abbé Groulx vous remerciera.

Réponse :

— J’en serai enchanté !

Je ne sais plus que penser. L’envoûtement funeste aurait donc pris fin et tout de bon. Le soir de cette conférence, je me rends un peu tardivement au salon de l’École du Plateau où Bourassa attend au milieu de nombreux amis. En m’apercevant, je le vois encore qui s’avance, avec son sourire le plus bienveillant, la main tendue, les yeux luisants comme des tisons, encore plus noirs dans l’encadrement d’une chevelure complètement blanchie. L’homme qui me serre la main est bien le Bourassa du presbytère de l’abbé Perrier. Nul nuage, aurait-on pu croire, ne s’était jamais glissé entre lui et ses amis de ce temps-là.