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quatrième volume 1920-1928

Allard, grand vicaire en disgrâce, devenu curé de Sainte-Martine. Pressé par lui de questions sur les derniers événements à Valleyfield, je lui fais part de notre récente conférence ecclésiastique et de la lettre de Mgr Émard à Bourassa. Le grand vicaire de me dire aussitôt : « Je doute fort que cette lettre soit jamais parvenue à son destinataire. Je connais l’histoire de beaucoup de lettres qui n’ont jamais été écrites que pour les archives épiscopales de Valleyfield. »

Bourassa oublia plusieurs fois de nous apporter son dossier épiscopal. Un soir, et je voudrais rappeler sa délicatesse de conscience portée jusqu’au scrupule, il nous confia : « Dans ces oublis, je vois une indication providentielle qu’il vaut mieux ne pas vous lire ce dossier. » Mais se tournant vers moi, il ajouta : « Votre lettre de Mgr Émard, je l’ai vainement cherchée. Elle n’est pas dans le dossier. »

Je pourrais apporter ici, en confirmation sur l’état troublant du fils d’Azélie Papineau, le témoignage d’un homme d’esprit grave, qui fut longtemps le compagnon de vie et de lutte de Bourassa, l’un de ceux à qui le maître a le plus entièrement donné sa confiance : Georges Pelletier, futur directeur-gérant du Devoir. Un jour que nous causions du cas Bourassa, Pelletier me dit tout à coup, à sa manière brusque, tranchée : « La maladie de Bourassa, c’est la maladie de Mgr Bruchési. Mgr Bruchési est parfaitement sain d’esprit sur maints sujets. Il peut converser sensément une heure durant. Deux sujets cependant à ne pas aborder si l’on veut que le pauvre archevêque ne dérape : s’informer de sa santé ou lui demander un geste religieux. Bourassa est sain d’esprit. Vous pouvez l’observer à Ottawa ; il y prononce des discours d’excellent parlementaire. Un mot pourtant, prononcé devant lui, peut le faire sauter par la fenêtre : le mot nationalisme. » Pelletier parlait, sans doute, d’expérience. De Mgr Bruchési, je garde moi-même un pénible souvenir. L’archevêque, en son dérangement mental, se croyait, comme l’on sait, un réprouvé. En conséquence, tout geste religieux lui paraissait vain, odieux. Un jour je suis de passage à la maison des chapelains de l’Hôtel-Dieu