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thique, elle s’asseyait, sans façon, à l’indienne, sur le plancher, étendait autour d’elle ses papiers et procédait à je ne sais quels examen ou vérification. Malheureusement, en ces copies de lettres foisonnaient les pointillés, les suspensions, et voire les suppressions. Impitoyablement Mlle Adine avait fait disparaître, en ses transcriptions, tout ce qui aurait pu révéler les misères trop intimes de sa famille. Plusieurs documents transcrits au complet portaient en tête l’avertissement : Pas pour publication. Le plus souvent, la bonne demoiselle avait recouvert de larges bandes de papier d’emballage, dûment collées, les passages réputés suspects. M. Antoine Roy, conservateur des Archives de la province de Québec, où la documentation de Mlle Bourassa aboutirait un jour, me confiera qu’il lui aura fallu plus d’un an et demi de travail pour libérer la correspondance de Papineau de ses papiers d’emballage. Au cours de ses visites chez moi, Mlle Adine, fort à l’aise, causait volontiers de sa famille et d’elle-même. C’est ainsi qu’elle m’avoua, un jour, en toute simplicité, souffrir horriblement de la maladie du scrupule religieux, maladie, me disait-elle, avec la même simplicité, qui la conduisait périodiquement en des maisons de santé. Sans doute, fait-elle allusion à l’une de ces douloureuses périodes de sa vie, dans une lettre à sa cousine Carrie, qui débute par cette phrase : « Chère Carrie, est-il utile, maintenant que je reprends vie normale, de revenir sur le passé ? » Cette lettre contient d’ailleurs cette autre phrase :

Je viens donc en droiture à votre droiture, chère Carrie, après avoir reçu votre lettre de Fall River. Je partais, peu de temps après, conduite par les religieuses Dominicaines, dans une maison de santé (Corr. XVI : 110, 113).

Mlle Adine alla finir ses jours à Papineauville. Elle se choisit, comme directeur de conscience, le curé de l’endroit, l’abbé Elzéar Racan, l’un de mes anciens élèves et dirigés de Valleyfield. L’abbé m’a raconté les visites répétées que lui faisait la chère vieille demoiselle toujours tourmentée par ses scrupules.