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mes mémoires

— Mais il est nécessaire que tu retournes au Canada car on va passer une loi qui ne te permettra pas d’y être reçu médecin, parce que tu n’y as pas fait tes études.

— Rien ne m’empêchera d’aller prendre mon diplôme universitaire aux É.-U., et j’en serais bien aise. J’y acquerrais un titre réel, au lieu d’une simple licence, par laquelle je ne serais jamais autorisé à pratiquer ailleurs qu’au Canada. (J’aurais dû ajouter : « Cette loi ne sera pas faite avant six mois et n’aura pas d’effet avant un an. »)

Surpris d’une telle perspective, j’entamai, une autre fois la question. (Je venais de causer avec Sauvageau, et de son départ probable par le paquebot du 24 mai.) Je demande à Papa :

— Êtes-vous décidé à quitter ce logement-ci ?

— Je ne sais… Je devrai en trouver un garni, parce qu’on n’est pas obligé d’en payer le loyer si l’on s’absente.

— Sauvageau s’embarque vers la fin de mai ; ce serait à peu près le temps où nous serions prêts à faire comme lui… Nous pourrions traverser avec lui.

— Est-ce que je sais si jamais je retournerai en Amérique ?…

— Je trouve ça étonnant ! Est-ce l’état politique du pays qui vous en éloigne ?…

— Sans doute !

— Espérez-vous qu’il doive s’améliorer bientôt ?

— Eh bien ! si ça vous est trop pénible, qu’est-ce qui vous oblige de vous mêler aux affaires publiques ? Personne ne peut être plus heureux que nous au Canada si vous allez vivre à la Petite-Nation ou à Saint-Hyacinthe. Vous y vivrez à l’aise, tandis qu’ici vous êtes trop pauvre pour ne pas souffrir. Vous ne pouvez pas songer à abandonner ainsi la famille !

— Ne sont-ce pas eux qui m’ont quitté ?…

— Maman a dû partir… Si elle avait continué d’y rester, elle serait morte ! Gustave aurait manqué son éducation. Vous n’auriez pas pu, ici, lui payer une pension. Amédée et moi n’au-