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quatrième volume 1920-1928

l’on sait. Au cours de l’entretien, je risque cette réflexion : « Qui aurait dit que Bourassa serait un jour pris de la frousse ? » Impuissant à m’expliquer les récentes et singulières attitudes du maître, elles ne me semblent provenir, en effet, que d’une crainte excessive d’une encyclique de Pie XI, dont on parle beaucoup alors à Rome et un peu partout : encyclique en préparation, dirigée contre le mussolinisme, et en général, contre le nationalisme ; encyclique qui, d’ailleurs, ne vit jamais le jour.

— Je l’avoue en toute candeur, dis-je à l’ami Héroux, cette encyclique ne m’inquiète aucunement. Après tout le Saint-Père ne peut rien changer à la théologie ni à la philosophie. Il ne peut contester aux petits peuples leur droit à la vie, surtout dans le cas d’un petit peuple comme le nôtre qui fonde sa volonté de vivre, non point sur le seul droit naturel et historique, ni encore moins sur le nouveau droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais sur un droit positif et constitutionnel progressivement accru depuis la Conquête, c’est-à-dire depuis 150 ans. Plus qu’étrange tout de même, ajoutai-je, que cette frousse de Bourassa, cette hâte de se mettre à couvert et de se donner l’air de rejeter la faute sur ses disciples.

— Non, pas la frousse, me dit Héroux, mais si je vous disais : crise de scrupule.

Mot-clé, mot-éclair qui s’enfonça comme un trait dans mon esprit.

— Vous me mettez là, dis-je à mon tour, sur une singulière piste.

Quelques années auparavant, muni de la recommandation de mon bon ami, le chanoine Chamberland, curé de Montebello, j’ai pu obtenir accès au manoir de Louis-Joseph Papineau. Les Wescott-Papineau, après quelques façons, m’y ont fait le plus bienveillant accueil. Ils ont mis à ma disposition tous les manuscrits de l’aïeul. Pleine liberté m’a été laissée de me documenter.