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mes mémoires

ma question : « Que s’était-il passé en cet homme ? » Esprit vigoureux jusqu’à la roideur, d’une fidélité farouche à ses principes, à sa conscience, comment avait-il pu introduire, en son système d’idées, en ses comportements, une déviation si étrange ? Dans « La pensée de Henri Bourassa » (numéro spécial de L’Action nationale, janvier 1954), André Laurendeau a tenté, à sa façon subtile, une explication. Il s’est appliqué à diminuer la gravité de l’évolution. Il n’y a vu qu’un aboutissant, en somme logique, de la foi impérieuse du catholique, le souci scrupuleux d’affirmer et de maintenir sans équivoque la primauté du religieux sur le national. Rumilly s’est borné à noter l’évolution, sans trop l’expliquer, ne se permettant qu’une allusion voilée et lointaine à une cause probable. Cette cause, non seulement probable mais moralement véritable, je crois la tenir. Assez souvent, en des cercles d’amis, il m’est arrivé d’exposer mon point de vue. Quelques-uns m’ont dit : « Pourquoi ne pas laisser trace, quelque part, une trace écrite de votre explication ? Vous le devriez, dans l’intérêt même de la gloire de Bourassa. Car enfin, s’il est bien établi que son évolution a procédé d’une maladie morale ou autre, les responsabilités de l’homme en seront notablement diminuées. Et il sera plus facile de refaire l’unité de sa vie. » Mon explication, je la développe tout au long, en ces Mémoires. Je la donne pour ce qu’elle vaut. Je n’ignore point, on peut bien le penser, ce que mes révélations peuvent contenir de délicat, sinon même de blessant, pour les descendants de Bourassa. D’autre part, j’estime qu’il n’y a rien d’infamant en certaines maladies de l’esprit, surtout passagères, et parfois même héréditaires. Dans le cas d’Henri Bourassa, mieux vaut la vérité, telle que je crois l’avoir aperçue avec quelques-uns de ses plus proches collaborateurs, que ces autres motifs qu’on lui a imputés en son évolution.

Un jour de janvier 1929, — au moment où Bourassa achève la rédaction de ses articles contre les « Sentinellistes », — je me rends au Devoir, mandé par M. Héroux, pour l’intervention que