Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
mes mémoires

doute, comme tous ces grands Messieurs, qu’on l’a mal compris et qu’on l’a mal cité. De deux choses l’une : ou il a vraiment prononcé ces paroles au banquet LaVergne. Et alors de quel droit ce qui était légitime en sa bouche devenait-il une hérésie ou un crime dans L’Action française ? Ou, en effet, l’on aurait trahi sa pensée, mais, en ce cas, et s’il estime si grave, si hérétique pareille orientation, pourquoi, lui, directeur d’un journal qui prétendait à diriger ses compatriotes, n’a-t-il jamais désavoué cette partie de son discours, ni ce rapport du Devoir ? Bien plus, ces paroles, nous les avons citées, en 1922, dans l’article-conclusion de notre enquête. Nous les avons reproduites dans le volume qui contient cette enquête : Notre avenir politique. M. Bourassa a dénoncé notre enquête. A-t-il jamais désavoué son discours du banquet LaVergne ?
* * *

Il faut que M. Bourassa en prenne son parti : il n’est plus un maître ; il ne saurait plus l’être. Quelques jeunes étourdis, qui ne sont pas l’A.C.J.C., quoi que l’on ait dit, peuvent jouer derrière lui les castagnettes, la jeunesse ne le suit plus et ne peut pas le suivre. Un maître doit avoir au moins quelque suite et quelque précision dans l’esprit. Comment la jeunesse pourrait-elle croire en cet homme, après la lamentable évolution par laquelle il achève sa vie ? Comment pourrait-elle encore ne pas se scandaliser quand elle le voit, pour son châtiment, loué, adulé, proposé en exemple, par ses ennemis d’hier, les pires politiciens, ceux qui ont laissé, dans notre vie, la trace la plus hideuse ? Ne faut-il pas aussi une singulière tournure d’esprit pour brouiller toutes choses comme il le fait, découvrir de l’orgueil de race en un petit peuple plutôt incliné à douter de soi, accablé au surplus, par une nuée de censeurs méprisants ? Pour être le maître d’une génération, il faut être capable de parler d’espoir et d’avenir, de fournir des pensées nettes, des buts fermes, enivrants, en état d’exalter et de coordonner les énergies. Or l’ancien chef a jeté aux quatre vents son ancienne doctrine, sans rien mettre à la place ; et à ce petit peuple, pris parfois du vertige du suicide, qui aurait besoin d’une énergique piqûre de strychnine, ce prétendu maître ne sait prodiguer que des calmants, du véronal. M. Bourassa serait donc bien inspiré de nous laisser la paix. Que si aucune autre considération ne saurait l’émouvoir, que par respect pour son passé et ses cheveux