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là. Il ne serait pas difficile d’en trouver d’autres. Bourassa eut nettement, en 1927, l’appréhension d’une rupture prochaine de la Confédération. Mais, en tel cas, quelle imprudence ou quelle audace y avait-il à chercher sur quelles autres bases les Canadiens français auraient à établir leur destin ? Et quelle autre solution que celle de l’Action française s’offrait véritablement à l’esprit ? En l’audience du 18 novembre 1926, le Saint-Père eut bien la conviction, semble-t-il, de tenir, devant soi, un coryphée du nationalisme outrancier : nationaliste qui, du reste, ne songea nullement à se défendre, ni même à mettre les choses au point. L’audience, en pareille conjoncture, ne pouvait produire, sur Bourassa — et nous dirons plus loin pourquoi — qu’un effet foudroyant. Il se jeta aux pieds de Pie XI dans l’effondrement d’un coupable ; il s’engagea à réparer, à recommencer sa vie. Ses attitudes d’hier ne pourront donc que se roidir. Aussitôt son retour au Canada, je me souviens qu’on chuchota au presbytère du Mile End : « Bourassa est revenu ; il est malade ; il s’est enfermé chez lui ; il est plus sombre que jamais. » Ce n’est qu’après plusieurs jours qu’il réapparut chez l’abbé Perrier. Il avait perdu tout de bon sa gaieté, sa bonne humeur, même sa faconde. Il se montra distant, l’air d’un malade du foie ou d’un neurasthénique. On ne se demandait plus : « Que se passe-t-il en cet homme ? », mais bien plutôt : « Où s’en va-t-il ? ».

Nous ne tarderons pas à l’apprendre. Il en vient à ne plus distinguer entre nationalisme et nationalisme. Si, un jour, avec quelques rares réserves, il défend le sien, celui d’hier, celui du discours de Notre-Dame, le lendemain et parfois le même jour, il vitupère contre tout nationalisme, quel qu’il soit. Comme s’il y avait urgence doctrinale, il ne cesse de rappeler que « les droits de la langue et de la race doivent se subordonner aux droits de l’Église et à ceux de la patrie canadienne ». Sur la tête du Père Charles Charlebois, o.m.i., animateur de la résistance franco-ontarienne contre le Règlement XVII, il brandit avertissements et anathèmes. Il ne perd pas une occasion, écrit Rumilly, de « bêcher l’abbé Groulx ». Je suis devenu l’une de ses têtes de