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mes mémoires

corruptible Bourassa, alors au plus haut de sa renommée. Dans un temps où n’existent ni radio, ni télévision, la doctrine nationaliste se donne enfin le porte-voix, l’instrument de propagande qui lui a trop manqué. Finie la conspiration du silence des journaux partisans. Finis les jours où, après un discours retentissant de Bourassa, l’on pouvait se contenter d’écrire, comme en tel compte rendu resté célèbre : « M. Bourassa a aussi parlé. » Le nouveau journal, au surplus, épaulé par les hebdomadaires provinciaux presque tous alors fortement teintés de nationalisme, et les épaulant à son tour de son incontestable autorité, quel véhicule pour porter jusqu’aux ultimes coins de la province, l’élan de régénération qui nous passionnait ! Bourassa a, du reste, réuni autour de la fondation, une équipe sans pareille jusque-là et depuis ce temps, semble-t-il, dans le journalisme canadien. On nomme, en effet, Olivar Asselin, Jules Fournier, Omer Héroux, Georges Pelletier, Léon Lorrain, Louis Dupire, et ce ne sont là que les vedettes, ceux de la haute rédaction. Le Devoir publie son premier numéro le 10 janvier 1910. Je suis dans ma famille à Vaudreuil. J’assiste au mariage de l’une de mes sœurs. Mes parents ont été parmi les premiers à s’abonner au journal de Bourassa. Les réjouissances familiales ne nous empêchent point d’envoyer quelqu’un chercher Le Devoir au bureau de poste du village. Avec quelle joie je me penche sur ce nouveau-né de facture française, avec ses articles de rédaction à la première page et qui exhale quelque chose de sain, de fort, le parfum viril d’une terre neuve. Le Devoir mettra Bourassa plus proche de nous. Chaque jour nous pourrons vivre avec lui, le suivre, en quelque sorte, dans ses réflexes quotidiens sur les événements, les agissements des acteurs ou pantins de la comédie humaine, écouter de plus près les pulsations de ce cerveau et de cette conscience d’homme.

Discours de Notre-Dame

Et je serai présent au discours de Notre-Dame. Discours historique qui atteint à la taille d’un événement majeur, parce qu’un soir, une voix d’homme fut véritablement la voix d’un peuple. Le