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quatrième volume 1920-1928

pourtant catholique ? Tant de nos chefs d’hier ou d’avant-hier s’étaient montrés vulnérables bien ailleurs qu’au talon de l’homérique Achille et avaient si singulièrement terminé leur vie. Ce Bourassa serait-il surtout l’homme du réveil qu’attendaient nos vœux impatients ? En toute histoire de quelque tenue, des générations surviennent qui ont le sentiment de vivre sur le seuil de temps nouveaux. Pour elles, tous les soirs, comme devant les antiques caravelles, des étoiles jaillissent de l’océan. Ces terres et ces temps nouveaux, elles se prennent à les désirer, à les aimer passionnément comme s’ils étaient leur bien, leur droit. Pour elles, béni sera donc l’homme, le démiurge qui s’offrira à leur ouvrir la porte de cet avenir ! Dans l’âme des jeunes gens de mon temps, il y avait un peu de cette attente fiévreuse et joyeuse. Et l’enthousiasme n’était pas fait d’autre chose qui nous attachera au jeune chef, à sa jeune gloire si virile et si radieuse.

Le grand orateur

Je verrai et entendrai Bourassa, pour la première fois, en 1904, à la clôture du premier Congrès de l’Association catholique de la Jeunesse canadienne-française. L’avouerai-je ? Ce soir-là, je n’ai pu me défendre de quelque déception. Avais-je trop espéré ? Nous venions de vivre des jours de joie pleine, presque d’emballement mystique. Enfin nos plus beaux rêves de jeunesse avaient pris corps dans une œuvre qui nous semblait promise aux plus certaines réalisations. En cette atmosphère, Henri Bourassa nous apportait le dernier mot. D’une voix qui me parut trop souvent nasillarde, l’orateur nous servit une critique sévère, presque impitoyable de nos mœurs catholiques. La critique amuse ; elle soulève peu ; elle n’enflamme guère. Le discours détonna. Bourassa me fournira l’occasion de me reprendre, moins d’un an plus tard, le 17 avril 1905. Dans les Territoires du Nord-Ouest, deux provinces s’apprêtent à naître : la Saskatchewan et l’Alberta. La question des droits ou de la liberté scolaire des minorités françaises et catholiques est de nouveau posée. Va-t-on profiter de la circonstance pour rétablir les minorités, en grande partie spoliées, dans leur plein droit d’avant 1890 ? Ou l’acte