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troisième volume 1920-1928

Le système politique de notre pays, tel qu’en voie de s’appliquer, ne conduit pas à l’unité, mais tout droit à l’uniformité. Les idées qui prédominent à l’heure actuelle, au siège du gouvernement central, tendent à restreindre d’année en année le domaine de la langue française, à miner sourdement l’autonomie de nos institutions sociales, religieuses et même politiques [C’est moi qui souligne]… Autant de symptômes, autant de faits indéniables qui suffisent à expliquer les régressions de la personnalité nationale chez nous et la part très grande qu’a faite L’Action française et que longtemps encore elle devra faire aux œuvres de pure défense.

Le pur négatif, dans l’œuvre défensive, ne pouvait néanmoins me satisfaire, non plus que mes collègues, presque tous hommes d’action. L’important dans la vie d’une petite nation « affaiblie par des emprunts malsains », c’était de se fortifier par le dedans. D’où l’indication des sources où puiser « les forces de réparation et de nutrition ». Ces sources, je les ramène à deux : « celle qui coule à Rome… celle de France, d’où nous est venue toute notre vie naturelle ». Je n’hésite pas à transcrire tout ce passage qui me paraît caractéristique de mes pensées de ce temps-là :

La première [la source de Rome] nous donnera des maîtres de vérité, ceux qui fournissent des règles aux esprits, qui font briller de haut les principes sans lesquels il n’est point de ferme direction, point de fondements sociaux intangibles, point d’ordre permanent, point de peuple assuré de sa fin. Dans l’ordre naturel, la culture de France, l’éducatrice immortelle de nos pensées, achèvera le perfectionnement de nos esprits. Et quand nous parlons de culture française, nous l’entendons, non pas au sens restreint de culture littéraire, mais au sens large et élevé où l’esprit français nous apparaît comme un maître incomparable de clarté, d’ordre et de finesse, le créateur de la civilisation la plus saine et la plus humaine, la plus haute expression de la santé intellectuelle et de l’équilibre mental. Et nous entendons également non pas une initiation qui tourne au dilettantisme ou au déracinement, mais une culture qui serve sans asservir, qui sauvegarde nos attitudes traditionnelles devant la vérité, qui, devenue une force réelle et bienfaisante, permette à notre élite prochaine de s’appliquer plus vigoureusement à la solution de nos problèmes, au service de sa race, de son pays et de sa foi.