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troisième volume 1920-1928

tional de Montréal, nous recevions les délégués de l’Ontario français, en pleine guerre scolaire. Pour les persécutés, l’Association catholique de la Jeunesse, si je me souviens bien, venait d’organiser une campagne de souscriptions. Montpetit eut à prendre la parole. Il débuta à sa manière habituelle, calme, mesurée. Mais l’homme avait le cœur généreux. Tout à coup, devant la stupide persécution, monta à ses lèvres l’indignation souveraine. L’académicien se mua en tribun, un tribun magnifique, qui brandissait les verges, superbe de passion, proférant l’appel à la justice, au respect du droit, à la simple humanité. Je ne l’ai jamais vu si beau. Ce fut spontané ; ce fut bref. Mais l’auditoire était déchaîné. Surprise, la salle s’abandonnait au délire.

Qu’a-t-il manqué à cet homme pour jouer son rôle public avec plus d’éclat, répondre aux immenses espérances qu’on avait fondées sur lui ? Peut-être un peu plus de caractère, un peu plus d’esprit de décision. Chez Montpetit, le caractère restait en deçà du talent qui était grand. Non que le courage intellectuel ni le courage moral ne lui fissent gravement défaut. Il savait se donner à une cause ; il savait même se compromettre. Peut-être y mettait-il trop de prudence, trop de réserve. Il se donnait ; mais il se donnait avec mesure, en se reprenant. Il parlait fort de temps à autre, mais toutes portes bien closes. Or, l’on sait comme la jeunesse, en particulier, aime l’absolu, les hommes entiers, le don entier. Par son enseignement, par son talent, il enchanta une première génération. Celle qui la suivit ne laissa pas d’admirer le maître. Mais elle se prit à le discuter. Cette génération-là subissait les affres de l’affreux chômage de 1930. De ses gouvernants, de ses chefs, elle exigeait des miracles. Au fond, que reprochait-elle à Édouard Montpetit ? À tout prendre : de rester en deçà de ce qu’elle avait espéré. Elle l’eût voulu plus décisionnaire, payant davantage de sa personne, sur tous les terrains, crânement mêlé aux batailles de la vie publique. Que de fois ai-je répliqué à cette jeunesse exigeante : « Ne demandez pas à un homme de tout faire ; mais tenez-lui compte de ce qu’il a fait. » On lui a encore tenu rigueur de n’avoir su mettre sur pied une Faculté des sciences économiques et sociales de grand style, apte à travailler « sur le terrain » et qui y aurait conduit ses étudiants. On lui opposait la Faculté des sciences sociales du Père