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troisième volume 1920-1928

celle d’un académicien. Certains jours, il descendait du Séminaire de philosophie, perché plus haut sur la montagne, et venait causer avec ses anciens camarades du Collège de Montréal. Il marchait, la tête engoncée dans son col de paletot, l’air grave, celui d’un rêveur. De ce jeune homme, on ne cessait de nous vanter le talent ; il était fils d’un homme de lettres ; en Rhétorique, dans son collège, l’on avait joué — en langue grecque, s’il vous plaît — l’Antigone de Sophocle où le public s’était rendu en foule, muni, cela va sans dire, d’une traduction française. Le jeune Montpetit avait tenu, dans ce jeu, l’un des rôles principaux, et avec un tel brio, qu’il s’y était bâti une réputation d’acteur.

Le collégien fit son droit, puis partit étudier l’économie politique à Paris. Là-bas, avant son retour, il prononçait et publiait une conférence : Survivances françaises, où l’on reconnut tout de suite un écrivain. À Montréal, on veut accueillir sans retard son enseignement ; on fonde la chaire Forget. Le premier, je pense, à titre de professeur régulier, il donnera, au Canada français, des leçons d’économie politique. Le jeune professeur s’impose. Après Étienne Parent, après Errol Bouchette, il prend, supérieur à tous ses prédécesseurs, la tête de file de nos premiers économistes. Il devient aussi professeur de droit à la Faculté de droit de Montréal ; il enseigne à l’École des Hautes Études commerciales qui sera bientôt fondée. C’est là surtout que j’apprends à le connaître quelque peu. Nous faisons partie de ce Comité de perfectionnement dont j’ai parlé plus haut[NdÉ 1], comité que l’on a chargé d’une réforme de la discipline et du programme d’études à l’École. Réunions extrêmement intéressantes où il m’est donné d’apprécier la gentillesse, la parfaite courtoisie de mon collègue, en même temps que ses intuitions d’éducateur. Cet homme encore jeune, avec sa chevelure pourtant traversée de fils d’argent, de tête si bien faite, de corps svelte, me paraît incarner quelque chose de la beauté grecque. Son esprit resplendit de cette beauté : esprit qui s’applique à la correction, à la mesure, et qui les eût possédées à la façon athénienne, sans de secrets instincts de poète, mal domptés en lui, et jusqu’à faire dévier parfois sa pensée en élans vaporeux. La poésie l’ensorcelle, embrume de temps à autre sa clarté. À la première Semaine d’Histoire, en 1925, il est l’orateur

  1. Voir Mes Mémoires, I : 269.