Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
troisième volume 1920-1928

ans, il a quitté la Bibliothèque de Montréal pour se réfugier dans les Laurentides, à Saint-Sauveur-des-Monts. Dans cette solitude bien faite pour le grand rêveur qu’il est, réussira-t-il à nous donner l’œuvre maîtresse qui n’a cessé de hanter son esprit ? Nous avons le droit de l’espérer. Tant de graines enfouies dans le sol n’attendent pour éclore qu’un peu d’air et un rayon de soleil.

Depuis les années d’autrefois, entre nous deux, les relations ont quelque peu changé. Elles se sont faites de plus en plus rares. Effets des distances, effets du temps, impitoyable meule qui broie tant de choses ? Quand j’ai fondé l’Institut d’histoire de l’Amérique française, j’ai fait appel à Desrosiers. Il est venu, mais pour ne me donner qu’une collaboration très mince et très intermittente. Autrefois, en ses lettres, il me donnait du « Cher maître ». Aujourd’hui, je ne suis plus que « M. l’abbé » ou « M. le chanoine ». Dieu me garde d’accuser le cœur de cet homme que je sais droit. Ces séparations, ces oublis, ne sont-ils pas dans l’ordre des choses en ce bas monde ? Où sont les hommes qui, montés à quelque sommet, se souviennent des épaules des parents, épaules des maîtres qui, un temps, les ont portés ? L’oisillon une fois envolé, revient-il jamais au nid paternel ? Faut-il tant se plaindre de ces mélancoliques aventures ? Les nids désertés, oubliés, se reconstruisent d’année en année, dans la joie, dans l’indéfectible espoir. Pourquoi n’y aurait-il pas aussi de la joie dans la montée des disciples qui gravissent encore plus haut qu’on ne les avait portés ? — Je me relis en cette année 1962. Ces réflexions me paraissent amères, beaucoup trop. Nous nous sommes revus, Desrosiers et moi. À la Revue d’histoire de l’Amérique française, il est devenu, depuis quelque temps, l’un de mes plus fidèles collaborateurs. À la direction de cette Revue, ne pourrait-il me succéder ? J’y songe.

■ ■ ■

Les grands collaborateurs

Ferai-je maintenant une place à ceux que j’appellerai nos « grands collaborateurs » ? Comment les oublier ? Ils sont nombreux. Arrêtons-nous à quatre, à tout le moins, qui s’imposent plus que les autres : Laure Conan, Mgr Louis-Adolphe Paquet, Édouard Montpetit, Henri Bourassa.