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mes mémoires

des livres canadiens publiés chaque année : c’est un livre à refaire… J’ai eu l’espoir autrefois de ne pas écrire de ces sortes de livres. Soit faiblesses personnelles ou influences néfastes de milieu, je ne réussirai pas. Il me faudrait comme à d’autres l’indépendance qui abolirait ces séries d’embarras, d’ennuis, d’empêchements, d’intrigues, de petits obstacles mesquins et continuels qui détruisent les forces vives quand elles n’empêchent pas absolument le travail. Sur neuf années que j’ai été dans le fonctionnarisme, j’en ai au moins perdu cinq à être littéralement malade d’intrigues. Et cela ne changera pas. Et quand on a dépassé quarante ans, c’est presque le désespoir qui vous prend de voir que, étant donné votre caractère et le milieu, c’est à un échec que l’on va.

Il ajoutait, sur notre situation politique à Ottawa et sur le rôle de nos représentants, quelques réflexions amères, mais si justes :

Les Canadiens français sont capables de concevoir l’idée de parti, mais l’idée de race semble trop large pour eux ; ils donnent toujours la préférence à quelque idole aux pieds et au corps d’argile ; ils ne comprennent le système parlementaire que dans la fidélité aveugle à un parti…

Juste jugement d’un homme qui avait pu observer, d’un excellent poste, nos lilliputiens de députés, de sénateurs et de ministres. Jugement qui confirme tellement le mien, qui est pourtant celui d’un pauvre homme de l’extérieur. Desrosiers avait-il raison de gémir si fortement sur sa propre situation ? En 1947, il réalisera une partie de son rêve. Il deviendra conservateur de la Bibliothèque Municipale de Montréal. Ce bonheur lui arrivait-il trop tard ? Il semble bien que si le journalisme et le fonctionnarisme lui ont fourni, pendant près de vingt ans, son gagne-pain et celui de sa famille, ils aient affaibli sinon tari en lui quelques sources d’eau vive. Il pourra écrire quelques grands romans, mener à terme un ouvrage d’histoire en quatre ou cinq volumes : l’Iroquoisie, ouvrage de valeur, dont un, le 1er tome seul, est encore publié. Et l’on peut espérer que Léo-Paul Desrosiers n’a pas dit son dernier mot. Mais quand on relit ses premiers essais d’étudiant, il semble qu’il n’ait jamais pu retrouver son élan, sa fraîcheur d’âme de ce temps-là. Dans son style, la fleur bleue n’est pas toujours absente. Elle n’a pas tous ses pétales ; on dirait une fleur qui s’épanouit trop à l’ombre. Depuis trois ou quatre