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troisième volume 1920-1928

vient du rédacteur en chef du Devoir d’entrer au journal. Desrosiers décline l’emploi. Ses parents viennent de lui ouvrir la maison paternelle pour tout le temps nécessaire à la préparation de ses examens devant le Barreau. Il prend le chemin de Berthierville. Hélas, le démon de la littérature va le suivre, le harceler jusqu’en sa retraite. Je cite deux lettres de lui, l’une du 2 mars 1920, l’autre du 14 du même mois :

Quant à mes études légales, ça ne marche absolument pas. J’ai oublié le peu que j’avais appris et je ne suis pas placé dans des conditions pour étudier… Je vais attendre encore quelque temps avant de décider définitivement si je me présenterai aux examens…

Je dois maintenant vous dire qu’il me sera encore impossible de passer mes examens en juin. Je n’ai pu trouver ici l’atmosphère qu’il faut à des études longues et ardues… Pour passer mes examens, le seul moyen que je vois, ce serait de me « déprendre » absolument de toutes préoccupations littéraires, de toutes lectures et de toute composition, d’engourdir et d’endormir toutes mes ambitions intellectuelles, ou, au moins, de ne pas leur donner d’aliments… Mais si je me mets à écrire, il y a toujours cent mille diables qui m’attirent, qui me poussent à la littérature, et le dégoût du Code vient ensuite me paralyser pour longtemps.

De ce jour, on peut dire que, pour le Code, la partie est définitivement perdue. Léo-Paul Desrosiers ne serait jamais avocat. La Providence le voulait ailleurs, et là encore où il ne voulait pas aller. Fin de juin 1920, je recevais un appel téléphonique de Georges Pelletier du Devoir :

— Ernest Bilodeau, notre correspondant parlementaire à Ottawa, nous quitte. Croyez-vous que Léo-Paul Desrosiers pourrait le remplacer ?

Je réponds au bout du fil :

— Je n’en sais rien. Je l’ai déjà dit à M. Bourassa, il n’a pas beaucoup le tempérament d’un journaliste. Mais il a beaucoup de talent. Peut-être se plierait-il au métier ? En tout cas, il n’a pas le choix pour le moment : découragé, démoralisé, j’apprends qu’il part pour les chantiers. Hâtez-vous de le rattraper.

Mon jeune correspondant ne m’avait pas mis au courant de cette récente décision. Je l’avais apprise par un commun ami.